Chroniques d'une épidémie

Journal du confinement (8)

J-15, tout s’accélère. Soleil sur la Bretagne, les bermudas sont de sortie. A ma fenêtre j’entends des badauds qui s’attardent autour d’une discussion sur les curiosités à découvrir dans le Morbihan. Visite programmée du château de Josselin avec les jumelles, confinées pour le moment dans leur poucette attendant que Papa Maman reprennent la balade printanière. Des enfants jouent au ballon à l’emplacement de l’ancien hôtel de ville de Vannes. Gare aux voitures, la route n’est pas loin. Quinze jours, seize dodos comme disent les enfants et Peggy Bouchet. Rien ne va plus, branle-bas de combat (1) ! Rien n’est su mais il faut déjà tout prévoir : reprendre le travail, faire garde des enfants, école ou pas. Nous voilà bien avec nos airs de déconfinés. L’organisation mise en place ne fonctionnait pas si mal : se lever tard, râler sur les réseaux sociaux, des courses anxiogènes une fois par semaine, quelques baffes perdues. La vie d’avant en dilettante en somme.

Depuis quelques jours la guerre du déconfinement a commencé. Chacun y va de ses arguments pour prolonger ou cesser l’expérience. Les enfants sont au cœur de la bataille, appelés pour certains à rejoindre les bancs de l’école dès le 11 ou le 12 mai. La réalité – nous ne savons rien – n’empêche pas les prises de position. La stratégie est à l’œuvre. Je n’ai pas d’avis tranché hormis l’application du principe de précaution pour celles et ceux qui le peuvent. Mon fils n’ira pas à l’école. Doit-on voir un signe dans le changement notable de la météo depuis ce matin ? Un trait grisâtre a effacé le bleu du ciel. Le vent est repassé plein Est. Je crois me souvenir que la nuit je rêve des jours d’après. Déjà s’impose le bilan de la quarantaine. Il y aurait eu tellement à faire. Ne rien regretter. La pluie qui tombe abolit le temps passé dans un parfum de mélancolie. C’est l’automne qui toque à la porte au milieu du printemps. Un automne sombre mêlé de sang et de peur. Spectre effrayant d’un futur sans avenir, fils de la crise de 29 et de l’épidémie de grippe espagnole de 1918. Mes pensées traversent le Mordor, terres sombres et dévastées. J’y devine un chômage de masse, une crise terrible de la consommation, un arrêt brutal de la société du plaisir telle que nous la connaissions. Il n’y aura pas de choix, une page se tourne.

J’aimerais tellement offrir une autre histoire à mon fils de 10 ans. Lui promettre un horizon mâtiné de golfs verts et de mers turquoises. S’accrocher à la belle idée que tout n’est pas perdu. Je suis Papa, si je n’y crois pas, comment pourra-t-il y croire lui qui voit encore en partie le monde à travers mes yeux ? Faire fie des mauvaises nouvelles qui s’accumulent et ne se rappeler que les bonnes. S’inventer Roberto Benigni dans La vie est belle qui fait croire à son gamin que tout est jeu dans le camp de concentration où ils ont été déportés. Prendre du champs : nous sommes vivants. Je crois avoir lu dans son regard une certaine fierté. Ne pas me voir baisser les bras. Aller de l’avant, continuer. Ce blog que je partage, ce roman que je porte. 1001 autres projets aussi. Oui, la vie est belle. Il y aura encore des assiettes de bulots mayonnaise et des verres de Chardonnay face au phare de Cordouan à Saint-Palais, des éclats de rire, des larmes, des victoires et des défaites, des vols de nuit vers Lisbonne, des schuss dans la poudreuse, des opéras à Vérone, des pages lues, l’odeur après la pluie en forêt, un air de musique qui rappelle la sonate de Vinteuil pour lequel je donnerai Rossini, Mozart et Weber, le vent qui se lève, une drisse qui claque, le long murmure du sillage qui s’allonge, la mer toujours recommencée.

Chaque soir, depuis plus de deux mois, je compile quelques données chiffrées sur la pandémie. Illusion de maîtriser un peu les choses. J’ai voulu croire qu’en France les choses se passeraient différemment. Nous avions tellement critiqué les Italiens et leur système de santé régionalisé. Nous nous étions moqués de leur fuite vers le sud qui rappelaient la débâcle et l’exode de 1940. Les courbes du nombres de décès se ressemblent étrangement. Personne ne s’accordera jamais sur le chiffre réel. On parle de 9000 morts non comptabilisés. Est–ce que tout cela a vraiment une importance ? Doit-il y avoir une coupe du Monde du Covid-19 ? Les statistiques n’ont pas d’autres objets que de prévoir et d’anticiper. Je reste circonspect devant le modèle suédois qui a choisi de laisser à la population de conserver une vie presque normale. Le pari était risqué. S’en sortiront-ils mieux économiquement ? On a beaucoup ri aussi des Américains. Mais Trump n’est pas le pays à lui seul. Ses facéties font oublier que l’Amérique est une nation forte qui sait quand il le faut se donner les moyens nécessaires.

C’est un lieu commun d’écrire qu’on aura besoin demain de toutes les bonnes volontés. Je pense à une très belle personne que j’ai découverte pendant la crise : Paul Amas. Dentiste à Marseille, il a mis sa bonne humeur, son énergie et ses réseaux au service du bien commun, alimentant en masques et blouses ceux qui en avaient besoin. Il n’a pas respecté les règles alors que l’Etat avait réquisitionné les masques chirurgicaux et FFP2. Son ingéniosité a permis de fournir en pleine pénuries des milliers de masques dont les fameux EASYBREATH de l’enseigne Décathlon qui s’est offert au passage une belle publicité. L’appel à cesser les soins de l’Ordre National des Chirurgiens Dentistes ne l’a pas empêché de continuer à assurer les urgences le matin dans son cabinet, mettant en œuvres des solutions inédites pour assurer une certaine sécurité sanitaire face aux risques de contagion. Il est le fondateur d’une association caritative, les sourires de Garibaldi, qui organise la venue de Super Héros à l’hôpital afin de visiter les enfants malades. Respect.

Demain. Le mot est lâché. A la fois promesse et contrainte. La pluie a cessé de tomber. Un silence assourdissant plombe la ville menacé par quelques cris de mouettes et goélands. Le sommeil ne vient pas. Lecture des dernières avancées sur la connaissance du virus. Merci à Sophie Cha, une autre belle rencontre, même si nous ne sommes pas d’accords sur tout. Se projeter un peu. Ce soir je termine la 13ème chronique écrite durant le confinement. C’est peu et beaucoup à la fois. J’aurais rencontré quelque centaines de lecteurs. J’ai apprécié les critiques. Elles me donnent envie de continuer à écrire et de me remettre à mon roman quand les tourments seront passés et que l’écriture en redeviendra moins macabre.

Les mots de la fin ne seront pas les miens.

“Parfois, on ne voulait pas connaître la fin car elle ne pouvait pas être heureuse. Comment le monde pouvait-il redevenir comme il était avec tout ce qui s’y était passé ? Mais, en fin de compte, elle ne fait que passer cette ombre, même les ténèbres doivent passer. Un jour nouveau viendra et, lorsque le soleil brillera, il n’en sera que plus éclatant. […] Il y a du bon en ce monde, monsieur Frodon, et il faut se battre pour cela.” (2)

1 – Vient d’une manœuvre de la marine de guerre du XVIIe siècle. De branle, dans le sens de hamac, et de bas indiquant qu’on les descendait pour faire de la place sur le pont du navire de guerre avant de commencer le combat. Source : Wikipédia
2 – Le Seigneur des Anneaux, le Retour du Roi

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