Chroniques d'une épidémie

Sortons masqués

Laurence Biava est écrivaine. Engagée très tôt dans le mouvement de Emmanuel Macron, elle publie en 2017 une histoire d’En Marche (1). Elle a choisi samedi 18 mars de me bloquer sur Facebook et de me supprimer de ses amis parce que ma position critique sur le port du masque face à l’épidémie de Covid-19 ne lui plait pas. Elle me reproche d’alarmer inutilement les gens. Peut-être préfère-t-elle le discours de Sibeth Ndiaye qui déclarait il y a un mois : « Je vais vous dire, moi, je ne sais pas comment l’utiliser. Parce que mettre un masque, ça se fait avec des gestes très précis » ?

Calamiteuse est la communication gouvernementale autour de la question des masques dirait Maître Yoda ! Les masques inutiles en mars deviendraient obligatoires en mai ? Ce n’est pas sérieux. Que doit-on comprendre ? Qu’il ne fallait pas parler de masques parce qu’il n’y en avait pas ? Qu’inciter à porter un masque aurait ruiné les efforts pour confiner la population ? Qu’on cesse de nous prendre pour des enfants !

En l’absence de vaccin et de traitement, nous n’avons pas d’autre choix que d’adopter une stratégie sanitaire visant à limiter la casse : limiter les interactions sociales (confinement obligatoire ou pas), maintenir les gestes barrières, porter un masque dans l’espace publique et le cas échéant sur son lieu de travail.

J’ai retrouvé dans ma cave quelques masques jetables FFP2 périmés depuis 2009. Les élastiques sont cuits mais cela représente je l’espère une protection suffisante pour se déplacer en ville et faire des courses. N’en ayant pas suffisamment, je les réutilises en opérant une rotation sur cinq jours avec une routine stricte : lavage des mains avant de quitter l’appartement, pose du masque que je ne touche plus, lavage des mains au retour avant toute chose puis dépose du masque.

La communication sans cap du gouvernement et de certains médecins depuis février a obscurci un message qui aurait pu être clair. Faute de tests fiables (on parle encore de 30% de faux négatifs sur les tests les plus récents), chacun doit se considérer comme potentiellement contaminé : porter un masque c’est protéger les autres avant de se protéger soi-même.

En attendant, le seul choix censé, face à ce qui s’apparente à de l’improvisation, est de trouver des masques pour ses administrés, ses collègues, ses employés, sa famille. Les masques FFP2 ou chirurgicaux ne sont pas nécessaires dans la majorité des cas notamment dans l’espace publique. Certains pneumologues estiment que deux personnes portant un masque en tissus c’est 90% d’efficacité dans le filtrage des postillons qui contiennent potentiellement le coronavirus soit l’équivalent des masques les plus performants (2).

A l’instar de Laurence Biava, je constate une levée de boucliers, une certaine réticence face à ma prise de position qui prône un port généralisé du masque dans l’espace publique. Les arguments convergent vers un double discours, d’une part il appartient à l’Etat de décider ce que les citoyens doivent faire, d’autre part la protection assurée ne serait pas suffisante (3).

J’ai déjà évoqué la position du professeur Bertrand Dautzenberg qui déclarait sur France Info que « l’idéal, c’est que tous les gens portent leur masques dès qu’ils sortent, dès qu’ils sont avec quelqu’un ». Un groupe d’experts pluridisciplinaire et international envisagent que la négligence de la transmission du COVID 19 par aérosol est à l’origine de la différence entre les pays qui contrôlent ou ne contrôlent pas la propagation du nouveau coronavirus (4). La distanciation sociale de 1 mètre serait largement insuffisante. D’après eux, les recommandations données actuellement à la population pour ralentir l’épidémie sont exclusivement basée sur deux constats concernant les modes de contamination des maladies virales respiratoires : les grosses gouttelettes peuvent être directement projetées sur les personnes saines, ces mêmes gouttes peuvent tomber sur une surface et la contaminer entrainant un risque si elle est touchée par des mains qui sont ensuite portées au visage. Aucune mesure n’est envisagée face aux gouttelettes de très petites tailles susceptibles d’être aéroportées et de se propager sur des distances bien supérieures à 1 mètre et de produire ainsi un aérosol contaminant pour celui qui le respire.

La pénurie de masque ne doit pas masquer le rôle primordial dans le futur du port des masques et notamment des modèles répondant à la norme FFP2. La situation est simple : pas de vaccin, pas de traitement, une immunité collective très incertaine. L’institut Pasteur vient de publier une étude qui montre que seulement 6% des Français ont été infectés alors qu’il faudrait un pourcentage de l’ordre de 60% ou 70% pour que le principe de l’immunité collective fonctionne (5). On en est loin, extrêmement loin. Notre seul véritable espoir repose sur une extinction du virus. C’est ce qu’imaginent certains infectiologues comme Pierre Tattevin, président de la Société de pathologie infectieuse de langue française. D’après lui, « on peut espérer que le virus ne circulera plus d’ici quelques semaines, dans les délais qui ont été annoncés. On peut espérer, au fond, que cette épidémie s’éteigne. » (6) Chacun de nous peut devenir acteur en empêchant le virus de circuler en portant un masque, en tissus d’abord, FFP2 ensuite quand ils seront disponibles en quantité suffisante. Cela sera complémentaire de la stratégie de dépistage systématique des personnes symptomatiques et de la mise en quarantaine des personnes porteuses du virus. On estime à 500 000 le nombre de tests possibles par semaine. Nous serions encore 63 millions à ne pas être infectés. Il faudrait 126 semaines pour tester tout le monde, un peu plus de 2 ans et demi. On se rend bien compte que cela n’est pas possible !

Au delà de la prise de position sanitaire sur les effets bénéfiques d’une généralisation du port du masque dans l’espace publique pendant la durée de l’épidémie, la servilité citoyenne face au dogme d’état interpelle. Autrement dit le degré d’obéissance d’un individu devant une autorité qu’il juge légitime. Le dogme aura beau être remis en question, la nature même de celui qui l’évoque affirme sa prévalence. Qu’on juge un peu la dernière tirade de Sibeth Ndiaye : « Le ministre de la Santé a redit qu’il n’y avait pas de consensus scientifique à ce stade sur l’utilité de l’utilisation du masque pour tous les Français. Bien que ce consensus n’existe pas, nous nous préparons d’ores et déjà. » Autrement dit la parole politique sacralisée ose l’oxymore sans crainte. Le temps du masque n’est pas encore venu, il viendra avec le déconfinement. Qu’importe si les trois prochaines semaines ne sont pas mises à profit pour expliquer avec pédagogie en quoi le port généralisé du masque dans l’espace publique est notre seule chance actuellement de vaincre le virus et de voir sa propagation s’arrêter.

J’ai publié une petite infographie sur la probabilité de transmission du Covid-19 suivant que les personnes mises en présence portent un masque ou non. J’ai tenté d’expliquer avec pédagogie que les chiffres mentionnés ne sont pas rigoureusement exactes mais donnent une bonne approximation de la réalité. Je me suis contenté de franciser une illustration qui circulait déjà outre Atlantique en langue anglaise. 6892 partages ce matin, ma petite pierre à l’édifice.

#sortonsmasqués

1 – En Marche ! Une histoire Française
2 – Coronavirus : « Si tout le monde porte un masque en tissu, alors ça sera aussi efficace que de porter un masque FFP2 », affirme un pneumologue
3 – On m’objecte par exemple que le masque en tissus ne protège pas les yeux, mais on ne va pas tous sortir avec des masques Décathlon non plus.
4 – Transmission de COVID-19 par aérosol, les implications pour la santé publique
5 – COVID-19 : Une modélisation indique que près de 6% des Français ont été infectés
6 – Ouest France le 19/04/2020

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