Carnets

Songe d’une nuit d’épidémie

Une pluie féroce s’abat sur les volets poussée par les bourrasques. La tempête essoufflée a contourné l’occident pour revenir à l’est. L’impact des gouttes sur le rebord en zinc martèle l’obscurité d’un crépitement de mitraillette. Encore une nuit sans sommeil. Il est seul allongé dans un lit vide. Ses pensées restent confuses : dort-il vraiment ? Le bruit de l’eau et du vent vient troubler le cours des rêves. Il se rend à une party vêtu comme un solitaire naufragé de la route du rhume, mal rasé. Chino en toile, polo délavé et chaussures bateau contrastent avec le « dress code » chic sport de la soirée. La veste est de rigueur, sans cravate pour le côté décontracté. Rentrer se changer, vite, honteux. Il ressent la boursouflure des rides sur son visage, implacable. Les invités déjà présents sont tous jeunes au teint hâlé. Ils sourient de ce sourire de vainqueurs décontractés qu’on croise le long de la plage à la Baule les soirs d’été. S’enfuir et se changer, ne pas être vu.

L’insomnie guète. Il est maintenant parfaitement réveillé. Il songe, se demande ce qu’il pourrait bien porter pour ce fichu dîner. Quelle idée d’avoir accepté cette invitation. Ses affaires trainent ici et là, disséminé dans les lieux qui forment son existence tiraillée. Immobile, son corps ne veut pas bouger. Il faudrait se lever, aller aux toilettes. Impossible. Seul son esprit s’agite. Les images diffuses s’estompent peu à peu. Le ballet des jeunes jeunes gens bronzés. Que les femmes sont belles ! Ils aimerait se rendormir, aller se changer et pouvoir les rejoindre. Fermer les yeux. Un ami l’attend. La confusion règne. Il est maintenant dans une ancienne maroquinerie convertie en cave à whisky à côté de la cathédrale. Deux couples le taquinent sur sa tenue. Il achète une bouteille qui ressemble à du Shivas et mentionne qu’elle lui fera 10 ans. Nouvelles remarques moqueuses. Le décor s’estompe pour finalement disparaître.

Le voyage se poursuit. Il a descendu la rue de la Monnaie et entre dans le café restaurant. Il faut forcer un peu la porte barricadée pour entrer. Au fond des rires fusent. Des personnes attablées font la vie. Le serveur se dirige vers lui. Un dédale de rubans oranges de chantier l’empêche de trouver la sortie. Fuir encore cette jeunesse insolente. Pourquoi avoir placardé l’entrée de post-it ? Des prénoms sont tracés sur chacun d’eux : Sophie, Mélanie, Brigitte. Autant de rencontres oubliées, de plaisirs fugaces, de jouissances du passé.

Une douleur fulgurante dans le dos le sort de sa léthargie onirique. La pluie a cessé. Il est 8h40. Trop tard pour espérer dormir encore. L’appartement plongé dans le noir contraste avec les jours passés. Tout est gris. Un ciel d’orage s’étire à l’infini derrière les vitres couleur de gouttes d’eau. Le film de la nuit s’estompe, quels rêves imbéciles ! Noter pourtant ce dont il se souvient : sexe, mort. Les deux mots luisent en lettres de sang sur la première page déchirée d’un livre condamné. Il les a écrits sans réfléchir. Un silence extrême répond en écho au royaume des cieux grisâtre, effrayant, troublé parfois par le murmure lointain d’une voiture qui passe sur le boulevard.

La musique soudain fusent de nul part. Un hôtel. Souvenir vivace. Le Sofitel le long de l’avenue de la Liberté qui descend vers le Tage. Les notes se détachent au milieu du chantonnement de l’artiste. Quelle liberté ! La mélodie appelle le bleu du ciel, si triste pourtant. Les dernières rafales chassent les nuages. Mélancolie vague d’un passé inventé. L’histoire n’est pas écrite encore. Que restera-t-il des terrasses bruyantes de la Baixa ? Une larme coule sur son visage. […]

📖 Ce texte est un extrait de mon livre PRÉLUDE.

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Commentaires sur “Songe d’une nuit d’épidémie

  1. Bonjour
    Je viens de lire votre chronique. Glen Gould, Lisbonne.. des noms qui font briller mes yeux.. et chatouiller mes oreilles. Je vais me dépêcher de lire vos articles précédents.
    Bravo. J’aurais aimé avoir votre talent. Bonne journée.

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