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En voyageant, en écrivant

Désolé pour le retard

La nouvelle est tombée, brutale. Les souvenirs affluent, flous, incertains. Une soirée à Mayenne, nous ne nous connaissions pas encore, il était fier de rouler en Audi. Une nuit d’été coincée entre Rennes et Angers, probablement un barbecue et des jeux dont il était friand. Son mariage à Bagnole de l’Orme, des amis nombreux, de la famille. Nous étions arrivés en retard à l’église de Neuilly-le-Vendin. Enfin je crois.

Peu à peu le voile se lève sur la mémoire. Nous sommes nous revus depuis ce road trip estival où nous avions fait étape dans la maison de Chalonnes sur Loire ? Les enfants petits encore, un dîner sur la terrasse, une promenade le long du fleuve. Je suis passé pas loin depuis, souvent. Il aurait fallu s’arrêter, prendre un moment. Intention toujours repoussée, nous étions jeunes, nous avions le temps.

Mais il est mort, et nous ne sommes pas revus. Mort stupidement, c’est toujours absurde de mourir à 46 ans. Une veuve, trois enfants. Le coeur n’a pas tenu. Je relis incrédule l’avis d’obsèques, partagé entre peine et colère. Je me sens vide face à l’indicible. Vide face aux images fugaces qui s’éclipsent à peine révélées. Un œil jeté à travers la vitre du train, un ciel bleu, un soleil d’hiver qu’il ne contemplera plus.

Se rappeler nos rencontres, elles jalonnent trente ans de vie. Nous avions 20 ans, maintenant il est mort. Il emporte son sourire et son rire, ses blagues facétieuses l’œil qui pétille. Nous sommes nous jamais retrouvés assis sur un banc à siroter un bière pendant que nos épouses laissaient revivre leurs souvenirs d’internat et de lycée ?

Sentiment confus, je ne perds ni un ami, ni un frère. Pas même une relation. Plutôt une partie de mon passé. Le rappel douloureux qu’un jour c’est fini. Depuis dix jours le champs du possible s’est rétréci.

La photographie que sa femme a publiée sur Facebook efface l’image que je gardais de lui. Les cheveux poivre et sel, le visage mûr, des rides naissantes autour des yeux, le regard bienveillant. Il aimait le foot. Le dimanche il accompagnait ses ainés au match. Il coachait l’équipe locale. De quoi pouvait-il parler autour de la buvette ? Des rencontres à venir ? Du nul samedi dernier entre Marseille et le PSG ? La nuit déjà, il fallait rentrer. Déposer deux gars chez leurs parents puis retrouver la maison, le canapé confortable, la télévision et le film du dimanche soir. L’idée que je m’en fait. Je me trompe peut-être.

Il s’appelait Grégory mais tout le monde l’appelait Greg. Moi également. Ce n’est ni un prénom anonyme jeté dans le fil des faits divers, de la rubriques nécrologique ou des infos locales, ni le nom du héros involontaire d’un roman ou d’une série Netflix. Non, c’est Greg. Greg que j’aurais du revoir vivant. Peut-être autour d’un repas à Angers ou lors d’un mariage ou par hasard sur la plage de Malo Bray-Dunes. Mais vivant ! Taquinant sa femme, parlant avec émotion de ses enfants, s’étonnant peut-être de me revoir après si longtemps. Vivant.

Nous nous serions serré la main une dernière fois nous promettant de ne pas attendre aussi longtemps pour nous revoir. Je l’aurais suivi du regard avant de reprendre mon chemin sans me retourner pensant soudain que j’avais oublié de lui donner mon nouveau numéro de téléphone et que nous serions surement deux vieillards lors de notre prochaine rencontre. Vieux il ne le sera jamais.

J’ai raté les funérailles. Une histoire d’amour et de Saint Valentin. Y serais-je allé même si je n’avais pas appris le décès le surlendemain de l’inhumation ? Dans l’absolu, oui bien entendu. Mais j’étais en vacances. Un séjour réservé de longue date. Un mot, des fleurs. Trop tard.

Je pense à son épouse, à ses enfants. A la voiture qu’il faudra revendre. Aux armoires remplies de vêtements. Ses chaussures encore alignées. Le temps suspendu. Ma pensée vaque dans la maison vide, encore endormie, les rêves remplis de souvenirs et d’angoisse. 46 ans. Une vie à moitié vécue, hypothéquée sans raison.

Il n’est pas le premier de ma génération à disparaître avant le temps. Le sida, la voiture, le cancer ont eux aussi pris leur dû, glanant des jeunes vies. Lui semblait devoir être épargné. Parce que c’était quelqu’un de bien. On n’imagine pas que cela puisse arriver. Une douleur dans la poitrine. Des collègues affolés. Un coup de téléphone pour annoncer la nouvelle. Des visages blêmes. Des larmes qui coulent. Un cri. Un cri odieux au milieu de la nuit. La douleur sans détour. Le silence enfin.

Je ne poserai aucune question. Pas de polémique inutile. A quoi bon ? Chacun ses choix, chacun ses certitudes. Il est mort. Point.

Quelques photos encore. Les enfants jouent au baby foot pendant que leurs parents célèbrent leur amitié comme dans un film de Guillaume Canet. Le magnum de coca cola flirte avec le sirop Monin, le Jet 27 nargue le Coteaux de l’Aubance. Sur une table à la nuit tombée, quelques cadavres de bouteilles. On cherche Marion Cotillard ou Benoît Magimel. Visages inconnus, enfermés dans les méandres de la mémoire. Les copains, la vie.

Quelques mots encore. Seule l’amnésie sépare les morts des vivants. Je veux me souvenir de lui vivant. Ne pas oublier qu’il était chiant parfois, souvent. Peut-être appeler son répondeur pour entendre sa voix. Aller voir jouer ses mômes, les siens, tous les autres. Me permettre une larme si sa silhouette s’y reflette. Dans des boîtes à chaussures, chercher quelques clichés anciens. Une dernière fois parcourir le faire part : « Greg repose au funérarium de Chalonnes ». Adieu Greg, désolé pour le retard.

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