Chroniques d'une épidémie

Journal du confinement (11)

Contempler, interdit, le calendrier. Aurais-je pu imaginer un tel scénario ? Ce matin j’espère écrire une de mes dernières chroniques de confiné, qui laisseront bientôt place à un journal du déconfinement. Le mot est à la mode. Je n’aurais pas cessé durant huit semaines de tenter de garder raison et esprit critique. Ne rien voir de définitif, la croyance du jour devient parfois obsolète le lendemain. Rien n’est jamais acquis. Les connaissances nouvellement acquises servent de béquilles pour essayer de se lever et marcher à nouveau. L’humain n’a pas vocation à vivre éternellement entre quatre murs. Il est loin désormais le temps où nos ancêtres profitaient de leurs grottes dans le Périgord pour s’adonner à la peinture rupestre. La synthèse des informations auquelles j’adhère, on n’est certain de rien, se résume simplement :

1 – le Sars-CoV-2 est trois fois plus contagieux que la grippe saisonnière, c’est à dire qu’une personne contaminé infectera 3 personnes, là où la grippe en contaminera une;
2 – le taux de mortalité du covid-19 est de 0,5% et touche principalement des personnes à risques : obésité (IMC > 30), âge (plus de 65 ans), antécédents cardiovasculaires, diabète, pathologie respiratoire, insuffisance rénale, malades atteints de cancer sous traitement;
3 – le protocole de soin mis en place par le docteur Raoult procure probablement un plus même s’il est faible et heurte les connaissances de certains virologues;
4 – seuls les masques FFP2 protègent leur porteur en cas de transmission par aérosols, le port généralisé de modèles chirurgicaux demeure un compromis acceptable.

Maintenant, lève toi et marche ! Tant que le virus restera actif dans ma région, je continuerai de sortir masqué même s’il n’est pas impossible que j’ai croisé la route du Covid-19 en début d’année. Une sorte de grippe m’avait cloué deux journées au lit avec des symptômes proches de ceux décrits actuellement. Il faudrait un test sérologique.

Un ciel bleu mâtiné de nuages appelle à revoir la mer. Je me hâte d’écrire encore, bientôt il sera trop tard. Je profite des dernières matinées durant lesquelles je me donne le droit de trainer. Elles me rappellent la fabuleuse réplique de Jean-Pierre Marielle à Bernard Pivot : «Je suis un traînard». Ai-je pour autant banni un léger sentiment de culpabilité ? Se poser la question inclue la réponse. Je n’aurais pas géré le confinement comme j’aurais du le faire. La raison me dicte qu’il eut été utile de me contraindre et de profiter d’avantage du temps offert. Malheureusement, heureusement peut-être, je ne suis pas raisonnable.

L’éloignement sanitaire n’aura jamais été une distanciation sociale. Jamais je n’aurais autant échangé grâce aux réseaux sociaux que durant cette drôle de guerre. Je n’arrive pas à décider si je dois m’en réjouir ? J’ai lu énormément d’âneries et d’imbécilité. On pense immédiatement à ces mots de Albert Einstein : « Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue. » L’époque manque d’esprits éclairés, à peine aura-t-on entendu André Comte-Sponville déclarer sa préférence à la liberté plutôt qu’à la santé dans un pays totalitaire. La sidération nous empêche de réfléchir, la peur nous empêche d’agir. Nous vivons dans une démocratie relative aux reflets Orwelliens. L’Etat et sa bureaucratie sans visage imposent des consignes arbitraires auxquelles nul ne s’oppose vraiment. Le mécontentement se focalise sur l’interdiction d’accéder aux plages sur la vente de masques en grandes surfaces. Seules les mesures sanitaires prévues pour le déconfinement semblent provoquer une levée de boucliers, notamment chez les enseignants et les professionnels de la santé libéraux. Combien de voix s’élèveront pour protester contre le traçage des malades et l’obligation de délation sans l’accord de leurs patients demandés aux médecins de ville ? Les clercs demeurent étonnamment silencieux. Ou plutôt leurs critiques sont balayées et inaudibles. Seules celles des lanceurs d’alerte complotistes trouvent un écho favorable. Leurs armes sont les mèmes que celles du pouvoir en place, Youtube contre BFMTV.

Les tenants du jour d’après ne sont pas tous d’accords mais une énergie nouvelle prend forme. Nicolas Hulot publie une tribune réunissant 100 propositions. Un collectif de personnalités regroupant aussi bien Robert De Niro, Aurélien Barrau ou Melody Gardot, lance un « Non à un retour à la normale ». Simple feu de paille, épiphénomène ou réelle dynamique capable de faire bouger les lignes ? C’est bien gentil tout cela, mais concrètement : on fait quoi ? Quel mouvement sera assez fédérateur pour entraîner avec lui une population biberonnée au consumérisme ? Que penser de ces gens prêts à brader leur liberté pour un peu de sécurité qui n’ont d’autres envie que de faire la queue trois heures pour dévorer un Big Mac accompagné d’un Coca ? Comment s’adresser à l’intelligence collective alors que celle-ci est muselé de toute part ?

J’aimerais croire à des jours meilleurs. La tâche est immense, ingrate. L’échec politique de Nicolas Hulot sert de marqueur : on ne changera pas les choses de l’intérieur. Le combat gagné contre la création de l’aéroport de Notre Dames des Landes donne des pistes beaucoup plus prometteuses sur les méthodes à mettre en pratique. Lobbying et communication. Le coronavirus montre peut-être le chemin à suivre. Viral et trompeur. Doit-on s’appuyer sur la peur ou l’intelligence ? Les temps à venir promettent d’être passionnants pour les faiseurs et les rebelles.

En attendant, la vie d’avant va reprendre tout de même, accompagnée de son lot de surprises et d’incertitudes. En quoi pouvons-nous encore nous fier ? Les politiques ont trahis une fois de plus, la science semble incapable d’apporter des réponses. Les discours sectaires et complotistes fédèrent, donnent du sens en travestissant la vérité.

Dehors le voisin mène sa barque. Est-il seulement au courant que depuis 8 semaines sont mode de vie est devenu le notre ? Je l’observe par la fenêtre bricolant et s’occupant se son jardin. Les plans de tomates grimpent le long des tiges en bambou, les salades verdissent les parterres. Certains matins je l’entends discuter avec le propriétaire du rez-de-chaussée le nez à sa fenêtre. Comment vit-il sa solitude ? Une femme inconnue le rejoint-elle certaine nuit cachée par les rideaux qui masquent sa porte fenêtre. Il habite un trou en sous sol d’un vieil immeuble. De lui je ne sais rien ou seulement ce qu’il me laisse imaginer. Je préfère autant ne pas en apprendre d’avantage. Je conserve un souvenir partagé d’une visite d’inspection en tant que syndic d’un locataire : sa collection de figurines Manara et l’exemplaire de Mein Kampf posé sur le lit. Mes pensées virevoltent, accaparées encore par le virus. Je sens que l’obsession s’estompe. Hier j’ai oublié de mettre à jour mes tableaux de suivi de l’épidémie, les fils info “Spécial Covid” disparaissent des onglets de mon navigateur. La pression tombe. Une mouette acariâtre se moque.

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