Chroniques d'une épidémie

Journal du confinement (2)

Aujourd’hui c’est samedi. D’habitude c’est un jour comme un autre. Un jour où je me lève pour aller travailler. Pas de métro à prendre, aucune file de voitures drapée d’un brouillard malsain, pas de vélo mortifère non plus entre trottoir et bitume : je m’y rends à pieds. Je ne mesure pas toujours la chance que j’ai de pouvoir ainsi gagner des milliers d’heures pendant que d’autres subissent matin et soir la grisaille polluée ou des transports en commun bondés. Ce bonheur je ne le saisis pas, trop occupé à maugréer contre toutes les petites contrariétés qui forment un quotidien. J’oublie le sourire bienveillant de la marchande de fruits et légumes. Je passe sans m’arrêter devant les étals ou des marchands de bonne humeur me proposent de goûter qui du fromage qui des galettes turques ou encore du jambon auvergnat. Pas un regard vers la foule dont la vieillesse m’insupporte. Je trace ma route. La samedi à Vannes c’est jour de marché.

Ce matin rien n’est pareil. Je ne sortirai pas malgré l’envie que j’ai de prendre en photo les jardins des remparts provisoirement envahis de chalands en quête de produits frais. « Une personne à la fois s’il vous plait. Respecter les distances. Cent vous êtes et resterez ».  Les journalistes feront probablement le job à ma place. Je sais que je peux compter sur eux.

C’est plus facile d’écrire sa colère. Quand on déteste vraiment les mots viennent aisément. Rien de tout cela ce 20 mars 2020. Je profite de l’instant comme pendant une journée de vacances sans contraintes. J’ai coupé Facebook et les sites d’information. Il y a une heure j’ai senti mon agressivité monter en flèche en lisant les propos angéliques de certains commentateurs sur le mode « tout va bien Madame La Marquise ». Je demandais légitiment si quelque chose était prévu pour sécuriser le centre ville devenu désert et éviter d’éventuels pillages comme c’est arrivé à Trappes il y a quelques jours. « Nos caméras veillent Monsieur ». Veillaient-elles ces fameuses caméras quand mon commerce et une dizaine d’autres furent dégradées par 3 abêtis cocaïnés ? J’ai préféré couper court après les avoir néanmoins traité de bisounours. Non mais !

Bientôt midi. L’horloge de l’hôtel de ville va sonner. Il ne se passe rien. Un coup d’œil quand même sur les informations. A l’ouest rien de nouveau ! 123 nouveaux décès en Iran, un premier en Lituanie. En France le pays fait front pour endiguer le manque de masques. Merci Peugeot, merci Renault.  On apprend que le maire de Nice, Christian Estrosi est traité avec un traitement à la chloronique. Doit-on y voir un geste politique ou polémique ? Certain peuvent choisir leur traitement, d’autres pas. Mazette quelle gazette !

L’activité du moment dans les milieux littéraires est de dézinguer la romancière Leïla Slimani et sa rubrique quotidienne dans Le Monde où elle raconte son confinement dans sa maison secondaire.  Chacun y va de sa chronique meurtrière où sont dénoncés pêle-mêle son exhibitionnisme boboïsant à l’heures où beaucoup survivent au confinement entassés dans leur 20 m2, la candeur naïf d’un compte de fée niant la réalité des patients en train de lutter contre la mort, voir même son manque de légitimité pour tenir ce journal compte tenu de la médiocrité de ses écrits. Les réseaux sociaux sont passés par là pour l’achever. « Un peu de décence Madame ». Elle est allée rejoindre Lou Doillon et Marie Darieusecq au panthéon de l’indécence. La période est propice au boucs émissaires.

Montpellier : Les papas ne sont plus acceptés à la maternité du CHU. Quand mon fils est né c’était en pleine épidémie de grippe (H1N1). Les visites étaient interdites sauf pour les futurs pères. Pour une fois j’ai agi d’une manière diamétralement opposées à mes idées : j’ai assisté à l’accouchement. C’est un moment que je garde pour moi. Par pudeur. On touche à l’intime, à ce qui me définit véritablement. Paradoxalement je n’ai pas changé d’opinion sur la place du père ce jour là et la dégradation potentielle qu’elle peut entrainer dans sa relation charnelle avec sa compagne mais je ne regrette rien : mon rôle était d’y être.

J’imaginais bien que ce confinement serait introspectif. Ma seule expérience d’une vie limitée dans un espace restreint remonte à mes navigation adolescentes. Tout était différent pourtant : nous étions au moins deux, chaque escale apportait son cortèges de nouveautés, et puis surtout nous étions libres. Libres de choisir chaque jour sur la carte le point vers lequel nous allions faire pointer l’étrave. Libres d’affronter la tempête si nous nous en croyions capables. Libres de nous disputer parfois pour mieux nous rapprocher. Et puis il y avait la mer, espace infini alors que mon nouveau quotidien est borné par les murs de l’immeuble d’en face. Reste le soleil et le ciel bleu qui depuis quelques jours apportent notre dose de liberté.

Hier j’ai lu avec intérêt les conseilles de sous mariniers détaillant les trucs et astuces pour survivre. Lecture qui me rappelle ce livre de Robert Merle, « Le jour ne se lève pas pour nous » que j’ai lu un peu par hasard parce que je l’ai volé sur la Team Alexandriz. Tout le monde a en tête cette image du sous marin  inondé d’une lumière rouge parce que là haut c’est la nuit. Et bien il faut structurer sa journée et conserver les mêmes habitudes de vie. On voit fleurir sur Instragram les suggestions d’influenceuses qui partagent leur « routines de confinement ». 8h00 : se lever, 8h15 yoga, 8h30 tisane détox… Mon approche est plus rock’n roll : à chaque jour suffit sa peine.

Et si la situation devait durer ? Rester confiné non pas quinze jours mais trente, soixante, voir plus. Dans le petit jardin adossé à l’immeuble mitoyen, un voisin semble s’être fait à l’idée. Il met en place méthodiquement un petit jardin potager qui lui permettra de tenir quelques semaines si nécessaire avec des légumes frais. Je l’observe depuis la fenêtre. Point de procrastination chez cet homme là, il jardine avec méthode du matin au soir. Seul le coucher du soleil le pousse à regagner sa tanière. Nul bruit ensuite. Fait-il de la distanciation sociale un mode de vie ?

Les dealers proposent désormais de livrer le shit via des drônes ! Je n’ai pas trop saisi comment se passe la transaction financière mais la barrette est livrée par la fenêtre. Les voyous et la police utilisent les mêmes technologie. Dans le même temps, le préfet de Paris Lallement, qui n’est plus à cela près, dote ses troupes des mêmes moyens aériens pour surveiller la Capitale et faire appliquer les consignes aux plus récalcitrants. Stratégie sans doute payante qui permettra de compenser la baisse des effectifs de police décimés par le Covid-19. Verra-t-on bientôt dans certain quartier des combats aérien entre avions sans pilote façon MIG29 contre F16 ?

La journée s’achève. Je ne suis pas sorti depuis cinq jours. J’ai enfin réussi à accéder au drive mais il faudra attendre mardi soir. Merci aux livreurs qui se donneront la peine d’aller le chercher pour moi qui ne conduis pas. Je ne suis pas si seul. Peut-être les ventes par correspondance de puzzles vont-elles exploser ? Il faut bien s’occuper ! C’était le passe temps préféré de mon grand père. Nous sommes tous partis à la recherche de nous mêmes et du temps perdu !

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