Le balayeur balayé
7h07. Les premiers rayons de soleil tirent de la nuit le collège Jules Simon. La tasse, posée sur la table en verre encore plongée dans l’obscurité qu’éclaire à peine l’écran blanchâtre de mon ordinateur, attend que le thé refroidisse. Ce matin je me suis levé tôt. J’ai relu quelques pages du manuscrit laissé en sommeil depuis mon départ d’Andalousie. Les semaines se sont affolées et le temps aura passé trop vite. Entre temps Laurent Gounelle aura publié un nouveau roman qui s’affiche déjà en tête de gondole à l’entrée de la librairie Cheminant. Quel choc en y pénétrant il y a quelques jours pour y acheter des mangas de tomber sur ce totem bleu vert où s’affichait le sourire commercial de l’écrivain. Son séjour dans la grande distribution n’aura pas été inutile : il connait les clés.
La relecture de quelques chapitres s’apparente à une douche froide. Le travail qui m’attend est immense. Tout réécrire ? Comme un pianiste qui, bloquant sur un passage difficile, se sentirait obligé de reprendre le morceau depuis le début pour lui donner densité et homogénéité. Je pense au rouleau de Kerouac, 36.50 mètres, 125 000 mots, retour en arrière impossible. Je me suis amusé, maintenant au travail ! Ma mère dirait qu’il faut savoir balayer. Elle n’a probablement pas tord. Balayer dans la vie c’est souvent le plus difficile. Je n’enlèverai aucune rime à l’art poétique. 347 années me séparent de ces vers qui devraient servir de flambeau à tout écrivain qui se perd dans le dédale sombre d’un manuscrit inachevé.
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Balayer donc. Chaque matin se lever et se remettre à l’ouvrage. Sans cesse écrire, effacer, écrire encore. Donner corps à l’entreprise. Suivre une idée, s’en saisir, même inutile.
Je sais ma méthode peu efficace mais je n’ai pas d’autre choix que de la suivre. Les tentatives vaines d’appliquer d’autres techniques se sont soldées par des échecs. Elle est indissociable de mon mode de pensées : une chose en appelle une autre qui elle-même en appelle une autre et ainsi de suite. La formule idéale serait de construire le récit via un travail par étape. Esquisser les grandes lignes de l’intrigue, créer des fiches complètes pour chaque personnage imaginaire ou ayant vécu, faire un plan détaillé puis un résumé de chaque chapitre, se consacrer à la recherche documentaire pour maitriser les lieux ou les domaines approchés (histoire, géographie, architecture, etc…), rédigez une première version, relire, corriger, faire lire, corriger encore. Dans un monde idéal je n’ai pas ma place. L’écriture est source d’idée. C’est dans le corps du récit lui-même que jaillissent de nouveaux thèmes, naissent de nouvelles histoires m’obligeant à interrompre pour me documenter et explorer de nouvelles voies sans certitude aucune qu’elles seront fécondes. Au fil du temps je me retrouve avec un canevas, patchwork littéraire qui m’oblige à une réécriture quasi totale.
Au cours de ce processus créatif, le besoin incessant d’approfondir la connaissance de tel ou tel domaine, m’amène à stopper la rédaction pure pour me consacrer à des études chronophages : lecture d’un livre, visite d’une ville via le système Street View de Google (j’y passe des heures pour m’imprégner des espaces où se déroule l’action en plus de la collecte de photographie des endroits visités : bars, hôtel, parcs, restaurants, etc…), dossiers techniques. Je dois rester vigilant pour ne pas me perdre dans un processus sans fin qui exclurait in fine le but, d’autant que les informations récoltées sont souvent passionnantes. […]
📖 Ce texte est un extrait de mon livre PRÉLUDE.
Pour le découvrir en entier et recevoir une version dédicacée, cliquez ici.