En voyageant, en écrivant

Table rase

Dernier jour en Andalousie, derniers jours en 2023. Une page se tourne. Hier soir, j’ai décidé de supprimer tout ce qui n’était pas en lien avec mon activité d’auteur sur Facebook. Supprimée l’année 2023, rayée 2022, biffée 2021. J’ai commencé de manière séquentielle, linéaire. Puis je suis remonté dans le temps, supprimant les photographies aléatoirement, tranches de vie que je garde en mémoire. Des milliers de publications à effacer qui couvrent plus de 10 ans de vie.

En 2015 je passais Noël à Estoi. Visite de Lisbonne fin décembre 2016, plus tôt la rénovation de notre appartement. Grillades au feu de bois en février 2020. Mon fils champion du Morbihan de pitch and putt en octobre 2019. Lentement le passé défile, catharsis indispensable.



Trois jours encore et l’année sera terminée. Pas de réveillon, je serai seul. Seul face aux souvenirs, seul face au destin. Avril 2016, je venais de m’offrir un nouveau vélo, il neigeait en Bretagne comme dans une chanson triste de Prince. Mars 2016, un gratin dauphinois maison accompagnait du magret. Supprimé. Oubliée la maison du 32 Southwood drive à Toronto. 2015, l’année se terminait au Saint-Estèphe.


Partout des commentaires d’amis de passage, relations éphémères que j’emporte et que j’oublie, au fil de ce mur fourre-tout où s’accumulaient des posts formant un patchwork numérique hétéroclite.

Le 10 mars 2021, je déjeunais au Starbuck situé à proximité de la fontaine de Neptune à Madrid. Café américano et sandwich au pastrami. Probablement ai-je hésité à me rendre au musée du Prado voisin pour contempler une nouvelle fois les Ménines de Velasquez comme lors de mon précédent séjour l’année passée.

Une carte postale en noir et blanc rappelle que l’immeuble que j’habite n’a pas changé depuis sa construction fin XIX ème. Elle n’échappera pas au mécanisme de table rase.

Quimper, octobre 2012, Aedan n’a pas encore 3 ans, nous l’avions amené à un concert du groupe Palace qu’il adorait. Drôle de parents. Septembre 2012, déjeuner à la Plancha sur le port de la Flotte lors d’un séjour trop court à l’île de Rez. Automne voyageur, en octobre nous retrouvions mon frère à Cran Montana.

Le 6 septembre 2021, le Yang-Tsé-Kiang et le Cabaret Normand s’invitaient dans mon salon. J’ai visité depuis le joli village de Villerville lors d’un trop court séjour en Normandie entre Cabourg et Deauville.

Un cliché, pris un soir de janvier il y a 3 ans, me rappelle où je rentre demain : des rues vides, des décorations de Noël éteintes abandonnées. Un monde triste peut-être mais qu’il n’appartient qu’à moi de réenchanter.

Le rythme des effacements ralentit. Je prends davantage de temps devant chaque photographie, à lire les commentaires, à me souvenir. Prendre conscience au fil des suppressions non seulement de ce qui compte vraiment mais également de ce qui me rend heureux.


Je reste longuement interdit face à une photo fin 2021, un morceau de chalet, une grille, une pancarte : « interdit aux chiens et aux non-vaccinés ». Mesure-t-on réellement ce que pouvait ressentir une personne non vaccinée en France ? Le tout pour une maladie qui ne tuait chaque jour que 0,5 personne par million d’habitants ! Delete, au suivant.



Août 2020, les suites pour violoncelle de Bach emplissent les rues piétonnes du vieux Vannes. Derrière l’archet, un ami. « La musique savante manque à notre désir », mystérieux Rimbaud. Les touristes passent, jettent une oreille distraite à ces notes qui leur rappellent une publicité pour American Express. Les morceaux du compositeur seraient rassurants et inciteraient à l’achat !

Le tri se poursuit, inexorablement. Le temps remonte. Le scroll finit par se figer, oblige à charger la page de nouveau, à regarder une énième fois les liens vers mon blog que je souhaite conserver. Souvenirs répétés des nombreux voyages heureux réalisés depuis deux ans, couteau dans la plaie.

Le décès oublié de Willie Garson – Stanford Blatch dans la série Sex and the City – me prend au dépourvu, m’entraîne plus avant dans la quête mémorielle, vers une époque sur laquelle on me reproche d’écrire rarement.

Les années Covid toujours, je supprime les centaines de graphiques que j’ai produit jour après jour pour avoir une vision objective de l’épidémie à partir des données disponibles. Ce travail incessant avait été une des clés de ma vision différente sur l’épidémie puis plus tard de mon rejet total des vaccins à ARNm.

Dans trente jours, tout aura disparu. Effacées les traces du petit combat que je croyais mener. Le 23 juillet 2021 : « Depuis toujours j’ai cette intuition que la liberté n’est pas chose si naturelle. J’ai trop lu Camus ou Vercors pour me faire d’illusions. Certains mots raisonnent à ma mémoire, me rappellent que le pire n’est jamais loin. ».

Au hasard, je tombe finalement sur une photo de mon fils. Juin 2021, je l’avais accompagné sur un tournoi de golf. Mes mots de l’époque : « Après une première journée ratée (+20), Aedan signe une très belle carte ce dimanche 13 juin à l’Odet (+8) qui lui permet de terminer 5ème du Bretagne 2021, de se qualifier pour les MIR et d’envisager une qualification au championnat de France. Prochaine étape samedi 19 juin au golf de Carquefou. Le tigre s’est réveillé ! ».



L’essentiel de ma vie est là, dans cette photographie que je m’empresse de sauvegarder qui me rappelle mon plus beau rôle, celui de père. La pudeur probablement m’empêche d’écrire trop souvent à propos de la relation magique que nous nouons lui et moi depuis quatorze années. J’ai tenté de la décrire parfois, de façon imagée, évoquant certains moments passés ensemble qui suggèrent le lien fort et indéfectible qui nous unit. Il y a quelques mois, nous avons eu l’occasion de nous retrouver face à une psychologue qui a décrit d’un mot simple notre relation : elle est « sécure ». Nous nous aimons sans nous juger, nous nous respectons profondément. J’ai d’autant plus de facilité à poser ces mots dans l’instant, que je sais qu’il ne les lira probablement pas, pas maintenant du moins.

Il faudra encore quelques jours pour que je termine le grand nettoyage commencé hier soir. Quelques jours pour que ma page Facebook devienne celle d’un auteur anonyme qui donnera peut-être envie de me lire. Ma vie est ailleurs que sur les réseaux sociaux. L’amour et l’amitié aussi.

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