Marché de Noël
En voyageant, en écrivant

To Rome With Love

Le Monde n’en finissait plus de s’écrouler, le deuil succédait au deuil dans une mécanique implacable. La douleur se faisait plus prégnante, suffocante, nécessitant davantage d’échappatoires pour être supportée. Le bonheur, quand il s’en va, est discret. Il s’éclipse sans faire de bruit, il ne claque pas la porte.

Certains matins je croisais Franck G, artiste peintre qui fréquentait les mêmes cafés, disséminés dans le centre-ville à proximité de l’appartement où il résidait. Les fenêtres de toit de son triplex donnaient sur les vitraux sud de la cathédrale Saint Pierre qui longent la rue Saint Gwenaël. Nous traversions les mêmes tourments auxquels nous répondions en nous plongeant dans le travail. Lui l’encre de chine et la musique, moi les mots. Il fallait écrire à toute force, dans l’urgence, fixer la réalité en face, au risque d’avoir mal, comme on se brûle la rétine à trop regarder le soleil. Les phrases s’enchaînaient sans discerner elles-mêmes où cet étrange chemin les conduisait, cadavres exquis qui venaient s’échouer par vagues sur la page blanche.

« Ne renonce pas à être ce que tu es, sois en fier, chéris-le. »

J’avais repris l’habitude de venir prendre mon petit déjeuner dans un des bars-restaurants qui fait face au port de Vannes. J’y arrivais tôt après avoir accompagné mon fils à l’école, faveur qu’il m’accordait encore. Nous traversions l’intra-muros au petit jour à la manière de deux clandestins. Il appréhendait de croiser des camarades en ma compagnie et de nuire ainsi à sa réputation. La porte Saint Vincent marquait une frontière implicite entre deux zones. La première où je conservais le privilège d’être son père, la seconde qui le voyait s’éloigner, adolescent rebelle et anonyme. Nos chemins se séparaient alors. Il poursuivait sa route vers le collège Saint François Xavier voisin tandis que je pénétrais à l’Océan où je prenais place à une table haute après avoir salué les quelques habitués déjà présents, prenant garde de m’installer suffisamment loin pour ne pas être dérangé par les brèves de comptoir et les commérages. J’espérais échapper ainsi à la bêtise qui ne cessait de se répandre, alimentée par les rumeurs et la désinformation, pour laquelle les bistrots étaient une caisse de résonance privilégiée où chacun croyait apposer ses idées au réel dans une recherche illusoire de vérité.

Noël approchait. Les façades accueillaient les sempiternelles décorations qui dodelinaient les soirs de galerne illuminant quais et ruelles habituellement plongés dans l’obscurité. La musique, diffusée tout le long de la journée, voyait George Michael faire concurrence à Tino Rossi, Mariah Carey à Franck Sinatra. Nouveauté, une grande roue avait pris place sur l’esplanade qui borde la partie droite de la darse à proximité de l’office de tourisme masquant le conservatoire et la Chapelle des Carmes. Une idée des commerçants pour attirer davantage de chalands pendant les fêtes. L’immense manège offrait une visite panoramique inédite de l’antique cité vénète dessinant une spirale lumineuse qu’on apercevait à la nuit tombée. La municipalité avait mis le paquet pour sauver les fêtes de fin d’année.

Pourtant quelque chose clochait. Malgré les illuminations et les chants de Noël. Malgré Santa Claus qui déambulait. Malgré le sapin de leds et les chalets où on servait du vin chaud. Malgré l’odeur de marrons chauds. Malgré les bonnes intentions et les nombreuses animations.

On aurait crû le Père Noël en campagne électorale. Une campagne rodée comme un énième plan de vaccination orchestré par Mc Kinsey. Des 4 x 3 annonçaient la venue du « vrai » Père Noël dans la galerie commerciale de Kerlann. Il était partout. En visite à Beaupré-Lalande le huit décembre, à Cliscoüet le neuf. Il tractait des chocolats à Ménimur et à Saint Patern. La population locale attendait avec allégresse son meeting du dernier dimanche avant le réveillon qui le voyait arriver par bateau puis défiler en calèche accompagné de lutins en VTT. Il tenait ensuite une permanence électorale dans un chalet installé place Maurice Marchais, face à l’hôtel de ville, où il prenait soin d’être pris en photo avec ses futurs électeurs. L’agence qui gérait sa communication avait accouché d’un slogan merveilleux : « Plongez dans la magie de Noël ». Malgré les réticences, on votait pour lui. Par habitude, par peur du changement. On feignait de ne pas voir que les enjeux économiques et politiques prenaient le pas sur l’esprit de Noël.

N’avait-ce pas toujours été le cas ? On a fêté Noël à Rome pour la première fois le 25 décembre 336 sous l’impulsion de l’empereur Constantin Ier qui souhaitait fédérer l’ensemble de l’empire autour du Christianisme. Acte politique s’il en est. Il fallu plus de temps pour que le consumérisme s’empare à son tour de la nativité du Christ, reprenant à son compte la figure ancestrale de Saint Nicolas métamorphosé par Coca Cola en un super VRP invitant à consommer au prétexte de gâter petits et grands.

Et l’esprit de Noël ? Chose frappante, on fête Noël sous différentes formes partout dans le Monde. En tout lieu, on voit apparaître des sapins polymorphes. A Dubaï, à Lisbonne, à Mexico, à Naples… la féérie gagne les cœurs et les esprits. Le mécanisme fonctionne parce qu’il répond à un besoin universel d’humanisme, de partage et de fraternité. Quoi de plus gratuit, de plus fort que de souhaiter un joyeux Noël à une personne inconnue ? Joyeux Noël, Merry Xmas, Feliz Navidad… la réaction est invariablement la même : un sourire, l’œil qui s’éclaire.

Pour comprendre, pour saisir toute la fascination exercée par Noël, peut-être faut-il revenir à la première messe de la nativité célébrée dans ce qui deviendra la Basilique Sainte-Marie-Majeure de Rome ? L’enjeu est considérable : faire entendre aux fidèles que l’on fêtera désormais la naissance du Christ au mois de décembre, œuvrer pour l’ascension du christianisme au statut de religion officielle de l’Empire.

« Mes chers frères et sœurs dans la foi,

Cette nuit nos cœurs s’éveillent à une lumière nouvelle, à la naissance d’un espoir renouvelé.

Pourquoi sommes-nous rassemblés ici ce 25 décembre ? Parce que dans cette nuit sacrée, un événement grandiose a eu lieu. La naissance de Jésus-Christ notre sauveur. C’est ce que nous révèle L’Évangile de Luc. Une étoile brillante guidait les sages et les humbles.

Imaginez cet enfant né dans une étable. Il est le roi des rois, mais il vient modestement pour enseigner l’humilité. Il est fils de Dieu, mais il naît parmi nous pour partager notre humanité. En lui, se réalise la promesse de l’Écriture, le messie annoncé depuis des siècles.

Nos cœurs s’ouvrent à cette lumière, à cet amour qui ne connaît pas de frontières, à cet amour universel, offert à chacun de nous.

En célébrant ensemble la naissance du Christ aujourd’hui, nous renouvelons nos cœurs et nos esprits. trouvons un renouveau spirituel, une transformation qui transcende les traditions anciennes pour nous guider vers un chemin de foi et d’espérance.

Ainsi, que cette nuit soit le début d’une nouvelle ère, où la lumière du Christ illumine nos vies et guide nos pas. Célébrons cette naissance avec gratitude et engagement envers les valeurs de foi, d’amour et de compassion qu’elle représente. Amen. »

Subtile homélie dans laquelle le prédicateur affirmait les valeurs d’amour et d’espérance de Noël, posant les jalons d’un événement qui rassemble l’Humanité autours de ses valeurs intrinsèques.

Bien sûr Noël est le moment de l’année où les familles rassemblées se disputent le plus. Qu’importe ! Qu’importe les absents, un message suffit pour leur dire qu’on les aime. Qu’importe les fantômes et les disparus, ils continuent de vivre dans nos cœurs, dans nos esprits aussi.

Du haut de la grande roue un instant immobile, le temps semblait suspendu. Le regard se jetait tour à tour vers les rives du golfe, noyé dans les ténèbres, et la cité au-dessus de laquelle planait un halo scintillant, embrassant simultanément le passé, l’avenir et l’instant présent. Un avion invisible troublait le silence, rappelait les voyages. L’ombre de Lisbonne se superposait à celle de Porto. Déjà la Giralda se révélait à l’horizon.

Commentaires sur “To Rome With Love

  1. Joli ! J’adore cette expression « plongez dans la magie de Noël », c’est très inspirant ! Je visualise bien des foules, ameutées par les bonnes affaires dans des centres commerciaux, plonger dans de la fausse neige, de la coke peut-être même, pour alimenter leurs nombreuses addictions.
    Dans ton texte, tout y est en tout cas, le temps, le lien familial, la frénésie commerciale, le souvenir enfantin, l’espoir de se connecter à un esprit plus haut, plus grand, meilleur… Joyeux Noël JF !

  2. Bonjour,
    Merci de ce partage. Je me suis laissée porter par votre chronique. Elle est vraiment inspirante entre magie de Noël et réalité.

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