Chroniques d'une épidémie

Un dimanche en juillet

Trop de choses à dire, trop de choses à écrire. Le silence s’est imposé. Un long trimestre sans une ligne, sans un mot, à contempler effaré des journées repoussant sans cesse les limites de la bêtise et de l’absurde. Lundi 12 juillet, un VRP néolibéral a sonné le tocsin. Mardi 13, je ne réalise pas encore très bien la portée de ces paroles rapportées par quelques amis. Mardi 14, fête nationale, je comprends enfin. Foudroyé, je passe la journée couché, incapable de bouger, prisonnier des pensées qui rebondissent dans mon esprit. La tyrannie à nos portes. J’exagère bien sûr.

J’exagérais déjà il y a 28 ans quand j’essayais de convaincre mes condisciples de l’Ecole Centrale de réagir alors que les forces serbes détruisaient le vieux pont de Mostar. Combien furent-ils à signer la pétition ? A venir assister à une projection débat autour du Silence de la Mer et de Nuit et Brouillard ? N’avions-nous pas des comptes à rendre au passé ? A quoi bon avoir lu Camus et Vercors ? A quoi bon l’histoire enseignée ? A quoi bon les croix blanches alignées vers la Manche ? A quoi bon les murs du souvenir ? A quoi bon la lettre de Guy Môquet ? A quoi bon l’affiche rouge et Aragon ? A quoi bon ces quelques verts appris enfants, Liberté ? A quoi bon si nous abdiquons devant nos chaines au prétexte que ce serait bien pour nous !

Ils sont nombreux les amis éveillés au milieu de la nuit. Empêchés de dormir, ils fulminent contre l’absence de réaction d’avantage que contre ce système dont on a depuis longtemps compris que ses intérêts ne sont pas les notre. Je pense à mon vieux camarade Fred qui essaie, avec ses mots parfois maladroits, de nous éclairer sur la réalité épidémique. Je songe à Florence prête à repartir au combat et à sacrifier la belle librairie qu’elle a inventée à deux pas de la Méditerranée. Mille mots, mille messages de tous ceux qui sentent le glissement pervers vers une société de contrôle forcément totalitaire.

Ils sont nombreux aussi ceux qui pensent que je dramatise me taxant de complotiste, d’imbécile, de pétochard ou que sais-je encore ? La haine succède à la peur dans un tango mortifère. Je suis l’ennemi, le grain de sable qui empêche la stratégie vaccinale de tourner en rond. Il faut à toute force m’empêcher de vivre, me forcer à me laisser piquer. J’ai forcément tort puisqu’ils sont plus nombreux à détenir la raison. Tort de lire ? Tort de chercher la vérité scientifique quand elle existe ? Tort de ne pas me satisfaire d’affirmations péremptoires ? Tort d’avoir tenté de penser ce qui advient, depuis longtemps déjà ? Devrais-je suivre la doxa officielle ? Brûler Arendt, Bourdieu, Illich ou Foucault ? Fermer les yeux, oublier les leçons de l’histoire ? Me transformer en singe à la fois aveugle, sourd et muet ?

Il y a 8 jours une sourde clameur m’a sortie de ma torpeur. J’ai ouvert la fenêtre. Ils étaient des milliers, farandoles multicolores, à crier leur soif de liberté sous le soleil d’été. Je suis descendu les rejoindre m’enivrant de cette douce allégresse. Nous étions tellement ! Le pouvoir allait trembler. Nos institutions nous protégeraient. Très vite il a fallu se rendre à l’évidence : les digues que nous croyions construites pour nous abriter n’avaient comme rôle que la légitimation du système et sa protection. Garde-fous imposés laissant croire à la démocratie des processus : CNIL, Conseil Constitutionnel, Défenseur des droits, etc… C’est de nouveau groggy que je lisais les réponses des quelques députés ou sénateurs ayant choisi de répondre aux milliers de courriels les invitant à ne pas voter pour l’extension du pass-sanitaire. Certains étaient résolument contre. La majorité suivait les consignes en tentant maladroitement de se justifier, ajoutant de la paresse intellectuelle à la forfaiture. Heures après heures les amendement se voyaient votés ou rejetés provoquant colère et irritation. Le pass sanitaire s’imposait partout, pour tous et pour toujours.

Faut-il baisser les bras et renoncer ? Tendre le bras et revivre ? Le piège est trop grossier pour que nous tombions dedans ! Nous avons la santé, nous sommes en lien, nous avons des livres, de nouveaux amis, des champs où nous retrouver pour prendre un verre et dîner, des joueurs de guitare, des chanteurs… nous sommes unis dans nos différences et notre intelligence collective. Certes ce ne sera pas facile mais nous arriverons à renverser la machine totalitaire parce que nous avons la vie avec nous. Nous ne nous laisserons pas attirer par la haine alors que le parlement, machine d’enregistrement d’un pouvoir fou en roue libre, vient de signer l’arrêt de mort de la République. Caduque la devise nationale qui s’étale sur les fronton de nos mairies et de nos écoles ! La liberté ? Piétinée ! L’égalité ? Bafouée ! La solidarité ? Etouffée.

Nous payons aujourd’hui nos lâchetés d’hier, antérieures à l’apparition du Covid. Nous avons fermé les yeux pour ne pas voir ce qui nous dérangeait : la crise écologique, les dérives du système néolibéral, les Ouïghours cueilleurs de coton, les enfants noirs dans les mines pour nourrir notre soif de technologie, le plan Vigi Pirate enclenché depuis 1991, les différentes lois censées nous protéger du terrorisme au prix de toutes nos libertés,… J’arrête là, la liste est longue, sans fin. Couardise et silence embarrassé de nos clercs et des tenants de la culture à la française. Quelles voix discordantes avons-nous entendues s’élever au milieu de la sourde clameur des moutons enchaînés ? Mort Deleuze ! Mort Bourdieu ! Mort Foucault ! Mort Illich ! Mort Gorz ! Mort Balavoine ! Derrière eux s’étale un désert de pensée et de courage ! L’avénement de la société du spectacle enfin où seul compte le bien être euphorisant de la surconsommation ! Qui serait assez sot pour éconduire le bonheur au motif qu’il ne serait pas éthique ou moral ? Qui pourrait refuser de se faire injecter la liberté ?

La tâche est immense qui s’impose à nous et nous sommes bien seuls à la mener. Être minoritaires ne délégitime pas le combat. Il le rend juste plus âpre et périlleux. Une parole de Mark Twain me vient à l’esprit, « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. ». Nous y voilà.

Commentaires sur “Un dimanche en juillet

  1. Je vois dans ce qui se met en place la seule chance peut être de profiter de cet élan pour bousculer un monde que beaucoup acceptent mais dont personne ne veut ! A samedi ! FT

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