Chroniques d'une épidémie

Journal du confinement (1)

Il fallait bien faire quelque chose. Déjà trois jours que je ne suis pas sorti de chez elle.  Je dis « elle » pourtant ici je me sens chez moi. Cela reste mon appartement bien que je n’y vive plus. J’ai milles choses à faire, littéralement. Avoir un temps infini pour agir n’aide pas, bien au contraire. Depuis 72 heures je glande, je procrastine. Je lis en continue les fils d’infos de 20 minutes, mon activité sur Facebook est repartie de plus belle. Je repousse même ce qui est urgent. Depuis 3 jours je suis hors du temps. Il ne me reste que l’écriture pour tenter d’inverser la tendance. Un premier article sur ce blog que j’ai abandonné il y a deux ans. Un brouillon pour le moment. J’écris aussi pour être lu. Quelques lignes, quelques centaines de mots pour sortir du cercle vicieux. Mon esprit sait ce qu’il convient de faire. Je ne suis pas si bête. C’est l’action qui fait défaut. Comme beaucoup.

3 jours déjà à ne rien faire. A réfléchir surtout. A réagir. Penser à la situation. A ce qu’elle a d’inédite. Décider de ne voir personne pendant 2 semaines si ma santé me le permet. On ne peut pas savoir. Peut-être suis-je déjà infecté. Peut-être que dans quelques jours je me retrouverai sous assistance respiratoire dans un hôpital déshumanisé ? Pour le moment il ne me reste que ça, écrire. Ecrire pour avancer même si cela ne sert à rien. Ecrire pour avoir l’impression de faire et de maîtriser un peu les éléments. Comme prendre un ris quand le vent forcit pour perdre cette désagréable impression de subir les choses. Mon rapport au temps change à mesure que passent les heures. Chaque journée est la même qui se répète. J’écoute agacé la porte de l’immeuble chaque fois qu’un des occupants prend des largesses avec les consignes. Je tiendrai le coup. 14 jours au moins. Avoir la certitude d’être malade ou pas puisque à priori on ne sera pas testés.

Les fenêtres grandes ouvertes pour aérer l’appartement me font entendre le chant des oiseaux et les cris cruels des mouettes. Hier j’ai imaginé que je serais parti vers le large si j’avais acheté le bateau dont je rêve oubliant un peu vite que ça aurait été un long bord vers la mort si je suis déjà infecté. J’ai lu que les gens dans la rue se regardent étrangement. Qui est un zombie ? Qui ne l’est pas encore ? Nous sommes dans « Walking Dead » pour de bon. Les lettres s’égrènent sur l’écran. Le compteur de mots vient de dépasser le chiffre des décès en France. Bientôt ce sera celui de l’Italie. Comment en suis-arrivé à établir un parallèle entre l’avancé de l’écriture et des personnes mortes du Covid 19 ? Peut-être à cause de ces putains de courbes que j’ai commencées à suivre il y a deux semaines traçant les morts français et italiens. J’ai longtemps cru nous allions nous en sortir différemment. J’avais réussi à me persuader que notre système de santé ferait face. Tout semblait tellement différent ici. Les Français comprendraient la nécessité de la distanciation sociale évitant ainsi le confinement forcé. Quelle rage, quelle colère samedi soir en voyant les terrasses pleines, les cafés embouteillés de consommateurs en mal de mort. J’en connais certains. Ma rancune sera tenace. Peut-être la bêtise est-elle supportable en temps de paix. Mais en temps de guerre !

Je ne vais pas voir mon fils durant des jours. Seul ici. Je ne me plains pas. Il y a pire. Un grand appartement pour moi seul. Le printemps à la fenêtre. De quoi manger pour quelques jours encore. Il y a Monoprix pas loin. Je pensais avoir recours au drive mais celui-ci croule sous la demande. Chacun a peur. Ce matin les préfets ont appelé à venir travailler. On parle d’une prime de 1000 euros à verser aux salariés qui braveront l’épidémie pour aller au boulot. 1000 euros. Le salaire de la peur. Restez chez vous mais au travail quand même !

Dans la rue les bus continent à rouler à vide. Un sur deux depuis hier. C’est encore trop. La montée se fait par le milieu ou l’arrière. Un cordon sanitaire sépare le chauffeur des passagers fantômes. Je les vois qui remontent la rue. Il faut donner l’impression que rien ne change. Mais la mort rode. J’imagine le regard anxieux du chauffeur dans le pare brise quand il y a du monde à l’arrêt. Sont-ce des « rodeurs » ? Je tiens peut-être enfin une bonne raison de regarder la série. Netflix vient d’annoncer que les débits allaient être atténués pour ne pas saturer les réseaux. Tout le monde s’ennuie. Tout le monde a la trouille et cherche à l’oublier. Je vois sans cesse des photographies sur les réseaux sociaux qui disent toutes la même chose : « Tout va bien. Prenons du temps pour soi. Un verre de vin ? ».

Je ne suis pas dupe. Vercors l’a très bien écrit il y a longtemps maintenant.

« Quand, dans les jours heureux, allongé au soleil sur le sable chaud, ou bien devant un chapon qu’arrosait un solide bourgogne, ou encore dans l’animation d’une de ces palabres stimu­lantes et libres autour d’un “ noir ” fleurant le bon café, il vous arrivait de penser que ces simples joies n’étaient pas choses si naturelles. Et que vous vous obligiez à penser à des populations aux Indes ou ailleurs, mourant du choléra. »

Le choléra nous y sommes. Ici, chez nous, à nos portes. Sournois car il attaque à couvert. Ce sont nos propres enfants qui nous tuent.

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