Chroniques d'une épidémie

Journal du confinement (10)

Mercredi 29 avril 2020. On n’aura pas vu le mois passer tellement il a filé vite. Les jours d’avril passent plus vite que ceux de mars. Des journées marquées par de nouvelles habitudes et un horizon lointain. Une page s’est tournée depuis hier. Dans moins de deux semaines les contraintes imposées seront levées. En théorie seulement. En pratique on aura surtout le droit de retourner travailler si on ne peut pas faire autrement. Le télé-travail reste recommandé. Les enfants devraient pouvoir retourner à l ‘école par demi classes. Voilà pour les grandes lignes d’un déconfinement qui n’en est pas un. J’eusse préféré qu’on dise clairement les choses. J’habite un département privilégié où la circulation du virus paraît contrôlée. Pour autant tout pourrait déraper. Je suis sorti hier pour me rendre à mon bureau, aucune personne masquée dans la rue. C’est un non sens absolu. Le communiqué de presse de l’Agence Régionale de Santé Bretagne ne mentionne toujours pas le port du masque dans les gestes barrière. Idem quand on fait une recherche sur Google. Le message depuis deux mois n’a pas évolué. Incompréhension.

Le grand retour de la pluie semble se confirmer. La planète a décidé de nous offrir du crachin pour notre grand come-back. Sa manière à elle de nous souhaiter la bienvenue dans un ultime- avertissement. Partout on voit la nature reprendre ses droits et se réapproprier les espaces que nous pensions nôtres. Les animaux sauvages s’aventurent en ville, les herbes folles colonisent nos trottoirs. Pour la première fois depuis 42 jours, je prends connaissances du bulletin météorologique qui confirme mon impression. On aura adoré toutes ces vidéos montrant des dauphins dans la lagune à Venise, des canards sauvages en plein Paris, des chevreuils sur les avenues vides. Hypocrisie. Les animaux sauvages nous les aimons au cirque ou au zoo voire dans nos assiettes. Le rêve est terminé. Les satellites de Starlink masquent la voie lactée et les antennes 5G se déploient promettant d’avantage de communications inutiles et un air ionisé. On n’arrête pas le progrès !

Notre société du plaisir est en PLS. Seconde victime du virus. Les cafés et les restaurent restent fermés. Les compagnies aériennes licencient à tour de bras. La fin des vacances entraine avec elle les locations saisonnières, les hôtels et les campings. Le tourisme de masse est officiellement décédé. Prenions-nous conscience que nos vies tournaient autour d’une quête insensée de satisfaction et de confort ? La recherche du bonheur est-elle une première nécessité ? Maslow a manqué d’anticipation. Ou bien faut-il considérer notre recherche constant de plaisirs comme un besoin physiologique au même titre que la sexualité ou le sommeil ?

Huit semaines passées à observer la planète vivre sans nous, auront-elles suffi à faire le deuil de notre vie d’avant ? C’était quand même bien ! Je sens monter en moi un vieux réflexe égoïste d’enfant gâté. Ce satané virus a cassé mon joujou. Fini les vols de dernière minute pour Prague ou Amsterdam. Adieu les concerts et les festivals. Au revoir l’assiette de kebab posée sur une table en formica rouge. Bye bye les mojitos au bord d’une plage baignée d’une mer bleu émeraude. Tchao Booking, Airbnb et Tripadvisor. Hasta la vista ou à jamais ! Vais-je cesser de vivre ?

Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple: on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.

Et si tout était là ? Niché dans ces quelques mots tracés par Saint-Exupéry un soir de 1943 à New York. L’essentiel est invisible pour les yeux. On peut nous enlever nos avions, on ne nous volera pas nos rêves. On sera heureux, ici ou ailleurs, mais ici aussi. C’est un truisme mais l’essentiel pour le moment est de rester vivants. Plus de 200 000 personnes sont mortes, on ne peut pas toujours compter sur les statistiques pour se rassurer. Des enfants meurent, des femmes jeunes meurent, des hommes proche de la cinquantaine meurent aussi. Rester vivants d’abord. Et se mettre à reconstruire. Les paroles de Kipling raisonnent à nos oreilles pour nous apporter courage et témérité. Nous sommes des Hommes. Capables du pire comme du meilleur. Choisissons le meilleur, individuellement, collectivement.

Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik le rappelait avec des mots simples sur France Inter : “ si on massacre le monde vivant, on partira avec lui ”. Il voit la possibilité de l’avénement d’un monde plus solidaire où on vivra finalement mieux. Mais également le risque du totalitarisme politique, religieux, financier ou économique. Quelle réaction adopter face à un choix collectif qui nous laisse bien seul ? La seule réponse pourrait être politique. S’engager non seulement en adoptant des nouveaux modes de vie mais également en tentant de les partager et de trouver de nouveaux adeptes. Est-ce suffisant ? Non. Les enjeux sont considérables et les fronts pour se battre trop nombreux. Les puissances d’en face ne feront pas de cadeaux et se replieront dans un fanatisme dangereux. L’épidémie n’empêche pas le terrorisme, deux attaques ont eu lieu en France récemment sans échos médiatique, informations éclipsées par le flux incessant de nouvelles à propos du Covid-19. Les enjeux géo-politiques nous dépassent, petits dominos de la consommation effrénée maternés par l’Etat providence.

Les chiffres de l’ARS sont tombés et ils ne sont pas bons. Pour la première fois depuis début avril le nombre de patients soignés en Bretagne pour le Covid-19, réanimation et autre hospitalisation, remonte. Depuis un mois je me bat avec mes moyens pour essayer de faire passer un message simple sur le port du masque : en l’absence de traitement et de vaccin, c’est le seul moyen pour le moment de vaincre l’épidémie. Je me sens bien seul. Certaine publication Facebook, partagée des dizaines de milliers de fois, reste une goute d’eau dans un océan de bêtise et d’ignorance. Je continue néanmoins à porter la bonne parole sachant que j’aurais juste eu le tord d’avoir au raison trop tôt.

Je l’ai déjà écrit, le Coronavirus est un révélateur de bêtise. On atteint des niveaux exceptionnels. En témoigne la récente sortie de Donald Trump sur les injections de javel qui fait exploser le nombre d’appels aux centres anti-poison outre Atlantique. Je ne compte plus les amis supprimés ou bloqués sur les réseaux sociaux parce que leurs propos devenaient outrageants ou stupides. Depuis l’annonce faite d’une possibilité de se rendre sans se justifier jusqu’à 100 km de son domicile à partir du 11 mai, on voit fleurir les feuillets journalistiques sur ce qu’il est possible de faire dans un tel rayon à Montpellier, Paris, Narbonne ou Toulouse. Confinés mais libérés. Déjà les agences de voyages réfléchissent à des offres “spéciales 100 bornes” dans le respect des distanciations sociales bien entendu incluant le voyage en car un siège sur deux et la fournitures des pic-nics par les restaurateurs du coin. Mieux vaut en rire, ils sont capables de tout.

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