Chroniques d'une épidémie

Journal du confinement (3)

Depuis 10 jours je me demande si je dois poursuivre ce journal ? La question se pose au vu des réactions franchement hostiles à l’encontre de Marie Darrieussec et Leïla Slimani. Je n’ai pas envie de revenir sur ce qu’elles écrivent si sur ce qu’on leur reproche d’avoir écrit. Je m’interroge juste sur la convenance de rédiger au jour le jour un journal dans les conditions particulières que nous traversons. Je n’aime pas les réactions à chaud. Je ne supporte pas le climat délétère qui s’est répandu en quelques jours seulement. C’est un tout autre virus, mélange de peurs et de ressentis divers, qui commence à saper notre structure sociétale. Ce n’était pas très malin d’avoir quitté Paris en masse pour venir se planquer en province, cela ne l’est pas d’avantage de crever les pneus des « 75 ». J’assiste stupéfait à des comportement que j’aurais espéré avoir abandonnés aux manuels d’histoire : délation et tribunaux populaires.

Depuis 10 jours seul dans cet appartement, je regarde un peu moins les nouvelles et prends des distances avec Facebook et les réseaux sociaux. La solitude devient palpable. La distanciation sociale s’amplifie. Ce matin maman m’a gentiment appelé pour me conseiller de me laver les mains. Elle a ajouté également que je devais m’occuper de leur chien s’il devait arriver quelque chose à mon père et à elle. Testament éclair : « Occupe toi du chien ! » J’ai répondu « Oui, oui » comme un bon fils, un gentil écolier. Ce rend-elle compte de ce qu’elle vient de me dire ? Bien entendu, j’y pense, à cette mort là. Mes parents ne sont pas du bon côté de la courbe, les statistiques de mortalité ne leurs sont pas favorables. Ils ne sont pas en France, que se passerait-il s’ils se retrouvaient sur un lit d’hôpital dans un pays que nous regardons encore comme le tiers monde quand il ne s’agit plus de golfer, surfer ou engloutir de la bacalhau a bras ? Le voisin du dessous tousse chroniquement. Une petite toux. Rien de sévère. Lui non plus ne serait pas épargné par cette saloperie qui tue nos ainés. Sa femme est partie il y a trois ans, mais lui est en bonne forme. Je songe que ce ne serait pas le moment : je suis syndic bénévole de la copropriété, un décès apporterait son lot supplémentaires d’emmerdement à régler ! Cynisme et humour noire. Ne me jugez pas. Moi non plus je ne suis pas épargné par les probabilités.

Depuis 10 jours j’ai un temps infini à dépenser. Enfin j’allais pouvoir rattraper mon retard, réaliser ce que je ne fais pas habituellement ! Mon roman verrait son nombre de mots augmenter exponentiellement comme les morts du covid-19 ! Le bilan est nettement moins glorieux. Les premiers jours surtout ont été les plus calamiteux. J’ai passé mes journées à m’informer sans me soucier ni de l’heure ni de mon apparence vestimentaire. Tout seul, à quoi bon ? Je noircis évidemment le trait. Une chose est certaine : l’introspection promise est au rendez-vous. Dans quel ouvrage Foucault mentionne-t-il Sénèque et rappelle que l’idée de notre mort devrait influer sur notre manière de vivre ?

Depuis 10 jours l’ombre de l’Ankou rôde, j’habite en Bretagne. Verra-t-on demain un mur des victimes pour ne pas oublier ? On en compte 18 963 au moments où j’écris ces lignes. Je crains que le nombre final ne soit beaucoup plus important. Sur la carte fournie par le CSSE les points rouges se propagent et voient leur diamètre augmenter inexorablement. Je surveille l’Afrique. Quelques tâches éparses comme un début de rougeole, rien de grave encore. Son atout ? Sa jeunesse face à une maladie qui touche surtout les vieux. Tout de même, se figurer Kinshasa et ses 13 millions d’habitants. Ou Lagos ? Ou Le Caire ? Chacun tente de se projeter dans l’avenir, de le modéliser. Il en va du futur comme de la climatologie : les prévisions ne sont plus fiables. Je remarque cependant que le Printemps ne s’est pas fait attendre cette année comme si notre petit Coronavirus tendance Printemps Eté 2020 avait remis les pendules à l’heure. Hypothèse Gaïa. J’y reviendrai.

Depuis 10 jours rien ne calme mon esprit. J’ai longtemps cherché le mot qui convenait le mieux pour décrire l’état dans lequel je me trouve. Je ne crois pas avoir peur. Je ne me sens pas angoissé non plus. Je suis juste sidéré. Au sens propre. « Sidération : crise soudaine des forces vitales caractérisée par un arrêt respiratoire et un état de mort apparente. ». Dehors les oiseaux chantent. Ode à la vie. Quelques bruits humains encore : un bus qui remonte l’avenue, un volet qui claque, la télévision du voisin. Qui sera le dernier survivant ? Avant hier au soir, je rentrais de mon bureau en empruntant les rues désertes du vieux Vannes. Je jetais un œil effaré aux vitrines allumées, aux restaurants vides. Un cataclysme avait vidé le centre de ses habitants. Le Joueur de flûte de Hamelin serait-il passé par là, emmurant avec lui toute la population ? Ne restera-t-il que les rats trop contents de régner sur nos villes ? « Nachts schlafen die Ratten doch » écrivait Wolfgang Borchert. « Nachts kannst du ruhig nach Hause gehen. Nachts schlafen sie immer. Wenn es dunkel wird, schon. ». On est sans doute trop jeune à 17 ans pour comprendre le sens réel de cette parabole écrite en 1947 mettant en scène un petit garçon et un vieux monsieur. La ville est détruite, l’adulte croise l’enfant qui veille sur un tas de décombres et l’interroge sur ce qu’il fait là. Le petit lui répond qu’il surveille les rats qui sortent la nuit et qui pourraient dévorer son frère enseveli sous les gravats. Le vieux monsieur lui répond qu’il peut rentrer tranquillement chez lui, la nuit les rats dorment, toujours, dès que l’obscurité s’annonce.

Je voudrais croire aussi que les rats dorment la nuit.

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