Chroniques d'une épidémie

Le ciel est par dessus les toits

Jeudi 26 mars 2020. Début du 10 ème jour de confinement. Mon esprit s’attarde sur la date que je viens de noter. Deux mille vingt : cela sonne comme un nombre fatidique, un roman de science fiction. Arthur C. Clarke n’est pas loin (1).

Coup d’œil rapide sur les infos et mon Facebook. Un gendarme est décédé des suites de l’épidémie. Cette information aurait fait en temps normal l’objet d’une petite publication en page locale sans qu’elle n’attire mon intérêt. La gendarmerie connaîtra d’autres décès mais lui a été le premier. Le Figaro m’apprend qu’il était confiné chez lui depuis quatre jours quand son état s’est brusquement aggravé sans qu’on ait le temps de l’hospitaliser : il est mort à son domicile. Le journal n’en dit pas d’avantage. Piqure de rappel sur la dangerosité du virus. Cette homme avait 51 ans, quasi mon âge.

Peut-être n’est-ce pas une si bonne idée de démarrer la journée en s’informant. Dans « La semaine de 4 heures » Timothy Ferriss explique comment gagner du temps pour soi, notamment en zappant totalement la plupart des nouvelles sur lesquelles il n’a pas prise. Il se contente des « grands titres » en somme. Pourquoi cette boulimie d’informations ? Ce ping pong permanent avec alertes sur nos smartphones ? Nous sommes saturés d’actualités de toutes sortes. Parmi celles-ci, Francois Ars, élu local, rappelle ce matin l’épidémie de variole qui frappa Vannes en décembre 1954 faisant 16 décès. Il fallut 3 mois pour l’éteindre grâce à une campagne de vaccination massive et au confinement total de l’hôpital Chubert. Que ce passera-t-il quand les cas de Covid-19 auront globalement disparus mais que certains foyers resteront actifs. Faudra-t-il confiner des zones entières avec des mesures strictes de contrôle ? Ghettos sanitaires ?

Ce matin le soleil nous nargue. Une grue de chantier se détache du ciel bleu pour pointer vers l’Ouest. Immense compas qui m’indique peut-être le chemin : « Toujours plus loin. Ne t’arrête pas. L’herbe n’est jamais plus verte ailleurs, mais les possibilités sont infinies. Que fais-tu ici ? Que fais-tu de tes rêves ? Tu as lu l’histoire du Gendarme emporté par la mort ? Hier tu citais Sénèque mais rien n’a changé ». Va-t-elle se taire !  Se concentrer sur l’azur et oublier l’appel du large. Pour combien de temps encore ? Je trouve toujours de bonnes excuses pour stagner dans le consensus mou. Ma situation n’est pas si inconfortable qu’elle m’oblige à bouger. Il faudrait un vrai drame, une rupture nette de la chaine du temps et des événements, un SARS-CoV-2 ?

Certaines choses ont changé pourtant. En octobre 2019 j’ai décidé de reprendre l’écriture d’un roman dont la trame date d’il y a plus de 20 ans. J’ai fouillé dans les disques durs de mes vieux ordinateurs pour retrouver le texte initial. En vain, ll fallait repartir de zéro. Dire que je me moque parfois en apprenant que certains perdent des années de travail en oubliant un MacBook dans un train sans sauvegarde. On fait toujours une back-up. C’est au moment de s’en servir qu’on se rend compte qu’on a négligé les détails. Un peu comme un stock de masques en cas d’épidémie !

Ce bouquin j’y tien. C’est un nouvel horizon. On se rappelle ces vers de Pindare « O mon âme, n’aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible ! ». Il fallait juste trouver du temps pour écrire. Du moins c’est ce que je croyais. Depuis longtemps, je m’enferme dans cette facilité : « Pas de temps, pas d’argent ». « Vraiment ? » Me répond la grue qui lit ce que j’écris par dessus mon épaule. « Quand décideras-tu d’arrêter de te mentir ? Tu n’as pas suffisamment vécu déjà pour savoir que ta seule prison c’est toi même ? Tu as peur voilà tout ! »

Je relis interloqué mes dernières lignes. On dirait du Paulo Coelho ou du Laurent Gounelle. Je ne déteste pas ce dernier. Je le croise quotidiennement : sa plus jeune fille est dans la classe de mon fils. Sans ce hasard je n’aurais probablement jamais entendu parler de lui. J’ai jalousé son succès, surtout après avoir parcouru les 30 premières pages de deux de ses romans. J’y voyais une injustice. Je ne remercierai jamais assez une certain Altervorace qui le 3 février 2012 terminait par ces mots une critique de L’homme qui voulait être heureux : « Laurent Gounelle c’est un peu comme si Paulo Coelho avait mangé Oui-Oui et un Bisounours. Franchement, tant de pensées positives enrobées dans du sucre, ça me donne envie de hurler. Ou de tuer des bébés chats. ».

Gounelle n’a pas toujours tord. La grue non plus. D’ailleurs depuis 10 jours je n’ai pas ajouté un mot à mon récit. Ce n’est pas parce que je manque de temps ! Pas d’excuse donc. Ou bien si, une seule, la plus terrible : l’angoisse de la médiocrité. En toute chose je n’admire que l’excellence. Imagine-t-on le regard que je porte sur moi-même ? Où est la gloire ? Où se cache la perfection ? Toucherai-je un jour au sublime ? Jacques Brel vient à mon secours : « Si par malheur un jour on lit Rimbaud et on écoute Debussy ou Ravel, on ne peut plus sérieusement croire qu’une chanson est quelque chose de joli. » et d’ajouter pour finir de me convaincre « le talent c’est avoir l’envie de faire quelque chose ».

La comédie humaine résumée en un éclair : la peur et l’envie. Enfant notre regard se porte vers le sommet de l’arbre. Ses branches, ses feuilles nous appellent. Grimper ou pas ? Il nous offre sa force, il nous tend ses fruits. (2) Seule la trouille nous empêche de monter. Quel est le risque ? Tomber ? Et alors !

Un regard vers la grue. Va-t-elle me laisser tranquille ?

1 – 2010 : Odyssée deux, Arthur C. Clarke, 1983
2 – Voir le très joli conte de Shel Silverstein, l’Arbre généreux paru en 1964

Commentaire sur “Le ciel est par dessus les toits

  1. Jolie plume. Une petite précision toutefois, je n’ai rien contre monsieur Gounelle, seulement contre l’unique bouquin de lui que j’ai lu.

    Et juste pour info, c’est une certaine Alervorace. Merci pour la citation en tout cas.

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