Chroniques d'une épidémie

Map & Covidité

L’Europe s’étale en sous main. A gauche l’Atlantique accueille des notes manuscrites, des numéros de téléphone, quelques adresses. A droite l’Europe des Nations que bordent la Russie, La Biélorussie, L’Ukraine et la Mer Noire. Autant de couleurs que de pays, dessin d’écolier où la Grande Bretagne n’a pas encore rejoint la teinte grisâtre de l’ostracisme qu’elle a elle-même souhaité. Les noms de villes interpellent, parfois imprononçables : Czestochowa, Jyväskylä, Székesfehérvar. En rouge les frontières jadis abolies. La roue a tourné, rien ne va plus, Passe, impair et manque. Le site de l’ambassade de France à Copenhague indique que les voyages touristiques ne sont pour l’instant pas possibles et aucune information n’est disponible quant à leur futur rétablissement. Le covid a sonné le glas de mes projets de voyage repoussant sine die l’achat espéré d’un voilier visible aux Pays- Bas ou en Scandinavie. Nous vivions sur une Terre enfin ronde où les seules limites à la route étaient budgétaire et temporelles soufflant un air immense de liberté. Quelques jours auront suffit à la peur et à la folie des hommes pour restreindre radicalement le champ du voyageur. Les portes se sont fermées, nous emprisonnant dans nos pays, nos régions, nos villes, nos quartiers, nos rues, nos habitations. Le bon sens populaire pointe du doigt le tourisme de masse et les globe-trotteurs comme autant de responsables de nos maux sanitaires désormais malvenus dans le Monde d’Après. Le bon ton nous somme de passer nos vacances en Bretagne, d’y consommer des galettes de sarrasin cultivé à Ploneour Lanvern accompagnées d’un cidre élaboré à Pleudihen. La France post-covid exhale des relents d’hier au régionalisme rance qui découvre dans le même temps que ses flics taperaient plus volontairement sur ses noirs et ses bicots que sur ses Bretons ou ses Auvergnats sans s’en offusquer outre mesure. Le Monde d’Après ne virerait-il pas un chouïa réactionnaire comme en témoigne le succès de la cuvée 2020 de la fête des mères chère à notre défunt Maréchal ?

Le déconfinement se poursuit sous le soleil breton. Invitation a rédecouvrir la Barbade, clin d’œil caraïbe et emblématique restaurant de plage posé sur la sable baulois. On y déguste désormais des  poke bowls, nouvelle tendance healthy venue d’Hawaï. Au menu quinoa, boulgour, dorade grillée, mangue, avocat et wakamé. Exotisme de bon ton servi par des jeunes filles masquées. Cette saison les yeux bleus font recette dans le choix du personnel des bars de plage. Le souvenir de Christophe animera l’été. La météo boudeuse semble avoir des intentions capricieuses. Mars et Juin troqueraient-ils leurs habits ? Le baromètre a cessé de se shooter au ciel bleu et nous prépare une petite dépression passagère. Les Mojitos suffiront-ils à garder le moral alors que la crise économique guette et que l’épidémie s’éternise ? Schizophrénie morbide, ballotage incessant entre informations contradictoires. Faut-il se réjouir ou trembler ? Bien sûr le doute subsiste malgré l’embellie. Le Brésil sombrerait dans le chaos, le Portugal verrait la seconde vague frapper le pays à l’aune de la reprise touristique. Quel néo-plaisir sadique de constater que l’autre irait finalement plus mal que soi !

Au moment de publier cette chronique, le printemps a définitivement disparu cédant place à la grisaille et aux ondées. Les averses se succèdent frappant les vélux, vecteurs d’insomnie. Je dors par tranche comme le navigateur solitaire au milieu de la tempête. L’esprit s’égare. Je crois revivre les nuits proustiennes où un rai de lumière porteuse d’espoir cède la place aux ténèbres et à la peur pour le malade insomniaque. Ne sommes-nous pas tous en train de sombrer dans une folie mortifère alimentée par la bêtise et l’ignorance ? Une sorte de covidité ambiante gagnerait la planète, mère de tous les maux, prêtresse du Nouveau Monde et des changements désirés. Convergences des luttes néo-pandémiques qui voit se mêler lutte contre le racisme, critique des états policiers, remise en question des politiques de santé publique. Les sachants se contredisent laissant libre cours aux discours sectaires et fanatiques. Nos certitudes d’hier s’étiolent, retour à Socrate : “je sais que je ne sais rien”. Tenter de penser malgré tout, prendre du champ et mettre la raison au cœur de toute chose sans verser dans la démesure ou l’excès.

La pluie a cessé. Je parcours rapidement mon bulletin d’information facebookien qui m’apprend que Arthur Dreyfus vient de signer chez P.O.L. Jolie Maison, un nouveau voyage. Plus loin un ami architecte partage une vidéo de Erroll Garner trio jouant Misty (1). La musique apaise. Mon fils me sourit assis dans son nouveau fauteuil de gamer. Thomas (2) s’éloigne quelque peu cédant la place un instant à son clone. Le romancier et ses doubles, illusions littéraires. Celui qui écrit joue le rôle de l’écrivain qui lui même se projète dans ses personnages : “Madame Bovary, c’est moi”. Jeu d’ombres chinoises aux contours incertains et irréels. Le narrateur se perd et entraîne le lecteur qui croit décrypter les allusions. Rien n’est faux, rien n’est vrai. Le récit et les mots m’entraînent vers des rivages inconnus sans but ni intention volontaires. L’écriture me berce comme autant de vaguelettes, courant de jusant qui dicte les règles du jeu. Partir, revenir. Le flot se tarit puis renaît, les idées fusent telles une mélodie réinventée. J’en entends une en particulier qui murmure à mon oreille. Elle parle de la vie, sans amour, sans soucis, sans problèmes. Elle s’appelait Marina (3), du moins c’est ce qu’elle souhaitait me faire croire. Vampe prédatrice dansant sur les tables, s’enivrant de Champagne, à la jeunesse insolente. Son souvenir me hante encore. Les années ont passé. Sacha Distel au volant, une Aston Martin DB6 filent vers l’Océan. Ma rêverie se poursuit. Big Sur, Pierre Rey, le Gros, suicidé que Lacan enterrait d’une réplique formidable : “que vouliez-vous qu’il fît d’autre ? » (4).

1 – Errol Garner Trio, Mitsy
2 – Pseudonyme de l’auteur
3 – La Belle Vie est une chanson composée par Raymond Le Senechal, Jean Broussolle et Sacha Distel en 1962 pour illustrer l’orgueil, un tableau de Roger Vadim dans le film à sketches Les Sept Péchés capitaux en 1962. Ils appellent ce morceau Marina.
4 – Pierre Rey, Une saison chez Lacan

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