Chroniques d'une épidémie

Un Anniversaire

15 Mars 2020 : nous nous apprêtions à vivre l’enfermement. Rien n’était dit, tout étais su. La rumeur enflait, sûre d’elle-même, insolente, presque arrogante face à nos esprits rebels. Chacun se préparait à sa façon dans l’urgence et l’incompréhension, certain que son choix était le bon mais que celui du voisin était critiquable. Les gares virent des migrants sanitaires se ruer dans des trains bondés à destinations de campagnes moins hostiles. Que de critiques, que de haines, que de sarcasmes ! Aurions-nous réagi différemment si nous avions su que la peine était de 55 jours ? La Bretagne, la Corse, La Normandie devenaient Terre de Cocagne. Se plonger l’air interdit dans le souvenir. Soirées de silence, de doute et d’espoir mêlés. Il eut fallu en profiter pour lire (relire ?) Hannah Arendt : frontières, fragilité de la démocratie, exil, vérité sacrifiée.

Le sujet idéal du totalitarisme ce sont les gens pour lesquels la distinction entre fait et fiction n’existe plus.” (1)

Quelques mois auront suffit pour prendre conscience de la fragilité de nos démocraties modernes au prise avec des dirigeants ayant parfois une vision dirigiste de l’Etat et de ses missions régaliennes. L’asphyxie récente de George Floyd ne suffit pas à expliquer le regain de tension entre une partie de la population et nos forces de sécurité. La défiance croît, mortifère. Le choix est politique : réprimer.

Les vidéos violentes s’enchaînent sur les réseaux sociaux. Mises en scène à charge sans contexte réel. Qui croire ? Que croire ? Où finissent les faits, où commence la fiction ? Chacun y va de son interprétation personnelle sous le coup de l’émotion : les images sont dévastatrices et empêchent de penser.

Dehors la foule masquée ose braver sa peur. Des informations alarmantes continuent de brandir le spectre d’une seconde vague de covid justifiant des préconisations sanitaires discutables. La peur fait vendre et justifie toutes les mesures de contrôle. J’exagère bien entendu. Je devrais aller vivre dans un pays totalitaire pour connaître ma chance et comprendre que nos gouvernants sont de vrais démocrates. La raisonnement est du même ordre que celui des chiens de garde qui clament que ceux qui n’ont rien à se reprocher n’ont rien à craindre de la police. Qui est dans le déni ? Qui oublie les leçons de l’histoire ? Choisir son camp : pétainiste du 17 ou gaulliste du 18.

L’anecdote est connue, le 22 juin 1940, 128 pêcheurs de l’Ile de Sein partirent rejoindre De Gaulle constituant une partie de ce qui allait devenir les Forces Françaises Libres. Passant la troupe en revue trois semaines plus tard, le général eut ces mots fameux : « l’Ile-de-Sein, c’est donc le quart de la France ! ».

J’ai visité ce petit bout de terre française durant une coupe d’Europe de football à l’occasion d’un périple dans les Iles du Ponant. Son raz m’était depuis longtemps familier sans que je prenne le temps d’y aborder pressé de gagner La Manche ou de retourner en Atlantique. J’apercevait au large le phare d’Ar Men surnommé « l’Enfer des Enfers » par les gardiens qui s’y succédèrent. Certaines tempêtes voyaient la houle d’ouest s’abattre violemment faisant trembler l’édifice et tomber tout ce qui était accroché aux murs. « Qui voit Sein voit sa fin » rappelle l’adage.

Y pointer à nouveau l’étrave quand la folie des hommes et l’opportunisme de bon aloi se seront éloignés. Redécouvrir les ruelles tout juste assez larges pour y faire rouler une barrique, les plans de courgettes au ras du sol. La porte de la maison rose située au bout du village s’ouvrira à nouveau entrainant avec elle son cortège de souvenirs nostalgiques. Une fenêtre donnera à l’ouest d’où je contemplerai l’océan sans limite les cheveux baignés d’un souffle iodé. Les vagues en poudre se briseront sur les roches millénaires, arc en ciel magnétique attirant à lui regards et espoirs. Certains nuages sombres raviveront l’anxiété et l’effroi, prédicateurs lugubres augurant d’un drame nouveau et funeste. Au delà pourtant une lumière singulière baignera les flots, force et réconfort éloignants les mauvais présages, dardant ses flèches étincelante vers les nuées obscures. La Bretagne enchantée invite à toutes les rêveries.

Les écrits se succèdent, se heurtent parfois. Ma gazette romancée se poursuit à la recherche de ses 1000 mots hebdomadaire. Le flot s’invente au fil de la pensée comme une petite musique improvisée, rythmée par les surprises du déconfinement. Place à l’improvisation, au discours imprévu. Ecrire comme les langues salées creusent un sillon éphémère dans le sable. Les baïnes s’assèchent apportant avec elles leurs chapelets de concepts inachevés. La pensée se cherche, dogmatique et idolâtre, pensant encercler la vérité comme un noir serpent ressassant les paroles du passé, brillantes de leurs prédictions insensées. Les champs de la connaissance hier encore théoriques ouvrent de nouvelles interprétations donnant corps à des notions revisitées. La société du contrôle prend forme devant nos yeux ébahis vidant nos habituels lieux d’enfermement pour nous contraindre malgré nous, grâce à nous. Nos téléphones sont nos nouveaux gardiens inféodés au Big Data qui nous surveille sans relâche, aujourd’hui pour nous vendre ce que nous ne n’avons pas encore conscience de désirer, demain pour nous contraindre à accepter de nous conformer aux dogmes dominants. J’exagère à nouveau, bien entendu. J’entends déjà les cris imbéciles de ceux qui croient tout connaître mieux que les autres. Je suis l’incroyant, l’infidèle, l’hérétique prêt à signifier qu’une infirmière jetant des cailloux ne vaut pas un groupe de tchétchènes va-t-en-guerre, que quelques pierres lancées ne valent pas tripette face à des hommes armés et casqués en tenue de combat. L’intifada, la guerre des pierres a gagné nos contrées modernes. Guerre des symboles aussi. A la fois orages grondants et lueurs renouvelées.

La coruscation du jour provient de la décision du conseil constitutionnel qui a choisi de censurer la disposition-phare de la loi Avia donnant ainsi raison aux opposants du texte. L’espérance revient, la toute puissance du pouvoir administratif s’éloigne. Petite victoire mais victoire tout de même.

1 – Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme

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